Citations sur Malavita encore (27)
Maggie n'avait pas vu poindre ce cas typique dans la vie d'un couple où il s'agit de déterminer si les contrariétés de l'un sont prioritaires sur celles de l'autre. Combien de fois avaient-ils vécu ce moment où chacun estime devoir inventorier des petits malheurs bien plus cruels que les broutilles que l'autre prétend subir. Entre Fred et Maggie, cela pouvait donner "voiture à la fourrière" contre "angine", "journée merdique" contre "Untel ne rappelle pas", "fatigue" contre "stress", etc. Elle regrettait de n'avoir pas dégainé la première et se taisait maintenant pour écouter cet égoïste tenter de l'apitoyer sur ses misérables problèmes stylistiques, quand elle-même vivait un drame humain qu'il n'avait pas su détecter.
Tout en rangeant le contenu des sacs dans le réfrigérateur, elle demanda à son père:
- Papa ? Tu lis ?
- ... ?
- Tu lis Melville ? Toi?
Belle désigna le volume que son père, dans un demi-sommeil, avait posé contre la cafetière. En fait, il comptait bien reprendre sa lecture là où il l'avait laissée, et franchir le cap de cette première ligne, quitte à y passer le dimanche.
- J'en ai besoin pour mon roman, dit-il. C'est difficile à expliquer.
- Et tu en es où?
- Au début.
- Tu verras, c'est vraiment bien après les deux cents premières pages
(…) ce plaisir là, des milliards de gens y avaient droit, où qu’ils se trouvent sur la planète et à n’importe quel moment de la journée. Ça ne faisait pas d’eux des intellectuels ni même des passionnés, mais de simples lecteurs occasionnels qui se plongeaient dans un récit et jouissaient de ce voyage intérieur. Immobiles des heures durant, ils passaient la frontière de leur propre imagination, ils acceptaient de se laisser mener là où l’auteur l’avait décidé, et ils en redemandaient.
le plaisir de la lecture expliqué par Benacquista p. 73 - J'aime beaucoup "jouir d'un voyage intérieur" et "passer la frontière de son imagination pour entrer dans celle d'un(e) autre".
Jour après jour, chapitre après chapitre, Fred avaient passé ces cinq cent pages comme on franchit le Cap Horn. Cinq cent pages pour un homme qui n'a jamais ouvert un livre, c'était disparaître en haute mer, perdre le nord, tourner en rond, traverser des tempêtes, se noyer presque.
(...) ses propres enfants, dès le plus jeune âge, avaient ouvert des livres sans la moindre illustration, sans que personne ne les y contraigne, et ils y avaient pris plaisir ! Et ce plaisir-là, des milliards de gens y avaient droit, où qu'ils se trouvent sur la planète et à n'importe quel moment de la journée. Ça ne faisait pas d'eux des intellectuels, ni même des passionnés, mais de simples lecteurs occasionnels qui se plongeaient dans un récit et jouissaient de ce voyage intérieur. Immobiles des heures durant, ils passaient les frontières de leur propre imagination, ils acceptaient de se laisser mener là où l'auteur l'avait décidé, et ils en redemandaient.
C’est toujours pareil, on est maître de soi quand il s’agit des autres, mais quand c’est votre famille qui est touchée on fait moins le malin. (p. 361).
sur la joue, une seule fois, terrible baiser des amants qui ne savent plus où ils en sont
Avait-on encore besoin de descriptions, à l'heure du numérique ? A quoi bon s'emmerder à lire trente pages qui décrivaient une tour qui penche quand, nom de Dieu, tout le monde connaissait la tour de Pise !"
"Après cinquante et un ans de réflexion, Fred se sentait enfin capable d'ouvrir un livre et de le lire jusqu'à la dernière page. Lui qui pouvait fournir des efforts insurmontables aux yeux du commun des mortels, casser la figure à une bande de motards qui bloquent l'entrée d'un parking ou faire sauter une pompe à essence, allait-il laisser un livre lui résister ?"
"Leur histoire durait, mais chacun d'eux refusait d'admettre qu'ils s'aimaient. Ils avaient juste envie d'être ensemble, de faire l'amour, de se passionner pour ce que racontait l'autre, de s'abandonner à une tendresse infinie, et de faire en sorte que cela dure le plus longtemps possible. Si, en plus de ça, il avait fallu s'aimer ... "