Ecraser les souvenirs qui nous encombrent est la garantie même de notre santé mentale.
(de la Boite noire)
Il y a eu cet énorme rayon de lumière blanche. J'ai senti que mon corps s'élevait à l'aplomb, dans les ténèbres, à une vitesse folle. J'ai eu peur de heurter une borne invisible du cosmos. Un souffle d'air chaud m'a ramené sur terre et m'a couché, lentement, au beau milieu d'un pays d'horreur. Là, immobile, incapable de me hisser sur mes jambes ou même d'ouvrir les yeux, je n'ai pu que les entendre : chiens hurleurs et loups affamés, hyènes meurtries au rire aigre, feulements de fauves autour de ma carcasse. Le silence et l'oubli ont mis des siècles à tisser un cocon où, enfin, j'ai pu me lover tout entier.
Jusqu'à ce qu'un Dieu de miséricorde me rende la vue.
Et la vie.
(La boîte noire)
...elle m'a servi une demi-heure de monologue frénétique sur la vie et l'oeuvre du plus grand acteur du siècle, à côté de qui Laurence Olivier passe pour un danseur mondain et Marlon Brando pour une rentière capricieuse.
En ce bas monde, certaines rencontres ne se font jamais. Un priapique ne rencontre pas de nymphomane, un anonyme ne rencontre jamais le sosie dont tout le monde lui parle, un athée ne rencontre pas Dieu dans une guerre de tranchées, un paranoïaque ne rencontre pas la cohorte d'espions qui le traquent, un bureaucrate mal noté ne rencontrera jamais son patron sortant d'un hôtel borgne.
... si nous ne valions pas grand-chose, le reste de l'humanité n'avait aucune leçon à nous donner.
Noircir le tableau nous permettait d'affadir la noirceur de nos âmes, et rien ne nous rassurait plus que les mille compromissions dont nous étions chaque jour les témoins.
Là où la corruption marquait des points, nous applaudissions, aux premières loges, consolés de notre propre vilenie. Nous ne savions pas encore que le prix à payer était bien au-dessus de nos moyens.
La moindre parole d'espoir, le plus petit geste de tendresse nous étaient interdits, sans parler des projets d'avenir.
Combien de temps pensions-nous tenir ?
Faucheur de spaghettis, c'était le job rêvé.
ça date de l'époque où les copistes pensaient à accorder le complément quand ils le voyaient avant le verbe, mais s'il était placé après, ils l'oubliaient avec perte et fracas ! (p.180)
L'autre chose qui nous lie, c'est les puzzles. Pendant que je passe un temps fou à segmenter les arrondis et les angles pour isoler la bonne pièce, elle prend la première qui lui tombe sous le main et tape avec le poing pour l'emboîter de force. Poésie pure.
On se demande souvent ce que l'on ferait si la chance nous était donnée de lire notre avenir. Je sais aujourd'hui que connaître son passé a quelque chose de bien plus extraordinaire. La peur du lendemain est une plaisanterie comparée à celle de la veille. Et le destin n'est rien qu'un peu de passé en retard.