Quand ils marchent dans la ville, si un chien croise leur chemin, ils l'abattent. Au marché, ils ont fait pareil.
Trois femmes. Deux enfants. Un homme.
Comme ça ! Il paraît qu'une des femmes avait ri. Comme si les femmes d'ici riaient.
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Volets clos de la sieste, fraîcheur du grand hall à damier noir et blanc.
l'ombre n'est pas froide quand le ciel est bleu. Elle est encore désir.
Ma mère est assise au milieu de nos affaires, sur sa serviette. La plage, elle n'aime pas. Elle lit Intimité ou Nous Deux tout en tricotant encore pour cet hiver des pulls qui me feront des boules sous les bras. Elle n'est pas douée.
Parfois elle lève les yeux sur ces femmes aux corps sveltes et sûrs qui s'ébrouent, bronzent, nagent, ont l'air heureux. Intimidée.
Elle les envie.
J'envie leurs enfants.
Nous, où qu'on aille, on a toujours l'air de rétablir le campement. On se protège. On n'étale pas les matelas pneumatiques, les transats, les nattes. On s'assoit sur des serviettes éponge de toilette, maladroitement. On ne sait pas prendre nos aises.
Dans nos corps resserrés par des générations de l'exil répété, nous savons le peu d'espace qu'on nous laisse. Encore en prenons-nous moins. Habitués à nous faire oublier. Nous ne savons pas vivre comme les autres. Toujours trop ou trop peu.
Nous ne sommes libres que de partir. C'est dans l'âme.
Depuis qu'on est arrivé dans cette ville atlantique, on va à la plage.
Pour moi, la plage, c'est creuser.
Un jour, c'est un briquet, un petit briquet carré que j'ai trouvé, qui tient bien dans ma main.
Je l'enfouis profond, là où le sable a fini d'être sec. Creuser dans le mouillé, les grains qui s'encastrent sous les ongles, je ne sais pas si j'aime ça mais je le fais.
Je creuse, j'enfouis.
Et puis peu à peu le sable remis rebouche le trou. C'est bien. Et du sable sec par-dessus. Jusqu'à ce qu'on ne voie plus le lieu où j'ai enfoui.
Moi seule, je repère.
Et puis je joue à oublier le lieu.
Et d'un coup me le redonner : là, c'est sûr, je le sais, si je creuse, je retrouve le briquet.
Mais je ne le fais pas. Je tente l'oubli encore plus fort. C'est un drôle de jeu.
Je vais à la mer.
Les bras le long du corps, les mains qui sentent le dur de l'eau contre elles. J'avance et puis je m'arrête.
Immobile, je laisse les vagues faire. Lapent les cuisses, repartent. Le froid qui pique avant qu'elles reviennent me claquer la peau. Je compte. Dix fois. Et puis je retourne au sable. Je passe, rapide, les galets, en équilibre, les flaques. La mer descend. Le soir. Bientôt nous allons rentrer.
On ne sait pas prendre nos aises. Dans nos corps resserrés par des générations de l'exil répété, nous savons le peu d'espace qu'on nous laisse. Encore en prenons-nous moins. Habitués à nous faire oublier. Nous ne savons pas vivre comme les autres. Toujours trop ou trop peu. Nous ne sommes libres que de partir. C'est dans l'âme. p.126
Tu fais de la musique quand le vent souffle dessus.
C'est toujours un drôle de vent,
et ta musique, elle est triste,
toujours.
l'ombre n'est pas froide quand le ciel est bleu.
Elle est encore désir...
la lumière éclabousse les mots dans ma bouche.
P37
Faire semblant de lire.
Semblant d'apprendre une leçon.
Semblant de n'importe quoi pour que ça revienne, la vie.
Ne rien dire.
Respirer à peine. Juste habiter sa peau.
P 32
Ils ont plus besoin de café.
Autour de notre maison c'est monstrueux.
Ils ont tous la gorge tranchée. Tous.
Mon père ne dit plus rien. On n'entend plus rien que des sanglots.
P 22
Il n'y a plus de moi.
Je suis juste un être qui ne fait plus parti de rien.
Déliée.
On ne peut plus rien me faire.
Je ne sais pas où est ma mère.
Ils tirent.
P 12