En sortant du travail, une échappée impromptue dans une librairie de Clamart, "Mémoire17", pour me ressourcer et m'échapper du quotidien...J'ai plus que bien fait, apercevant en pile, sur la table des nouveautés, le dernier
roman de Jeanne Benameur "Otages intimes", dans le format si reconnaissable des éditions Actes Sud....
L'émotion intense... toujours au rendez-vous; découvrir les mots, les sujets toujours prenants de Jeanne Benameur...Un membre de l'équipe-Librairie avait , en sus, adjoint un commentaire de lecture personnalisé et enthousiaste...
Une écrivaine dont j'ai abordé tardivement l'oeuvre, avec un roman qui m'avait bouleversée et enchantée: "Les Profanes". Depuis, une attention toute exclusive pour ses publications anciennes et à venir !
Une histoire poignante comme souvent nous en offre cette auteure. Un homme à un tournant de son existence; reporter-photographe de guerre, Etienne n'est bien, comme son père, navigateur (parti un jour, jamais revenu) que dans les départs, les lointains...
Lors d'un de ses reportages dans un pays en guerre, il est enlevé, séquestré un temps très long, durée jamais précisée...
On le libère... et c'est le délicat retour à la vie ordinaire, où après le traumatisme, la peur absolue, il faut reconstruire, trouver les moyens de dépasser le traumatisme. Pour ce, Etienne, va retourner aux sources, au village de son enfance, à sa maman et à ses deux amis de toujours. Enzo, qui travaille le bois, joue du violoncelle et Jofranka, l'orpheline, " La petite qui vient de loin", devenue avocate à La Haye, qui aide les femmes victimes
de guerre à témoigner et à trouver les mots pour formuler ce qu'elles ont vécu.
Un roman polyphonique où moult thèmes s'entrechoquent, s'éloignent, se côtoient, se rejoignent: L'Amour de la Vie, l'enfantement, les liens uniques entre mère et fils, la mort, l'amitié, l'amour, l'engagement, comment survivre à la barbarie ?, la liberté, la peur, la solitude des êtres, leurs ancrages originels qui font leur force ou leur faiblesse, la richesse et la sérénité du travail manuel, dont celui de l'ami de "notre héros", polissant, transformant le bois , la force de la musique, ainsi que la quête perpétuelle de sens et d'amour de nous, fragiles humains, etc.
"La vie n'est sacrée pour personne dans les guerres. On parlera toujours du nombre des tués. Tant qu'on n'a pas vu leurs visages, on ne sait rien.
Et lui, il est là pour ça.
Il continuera à regarder les visages.
La vie ne vaut que comme ça.
Cette nuit, Etienne cesse de combattre.
Les mots qui sont là, en lui, tout simples. Ce sont les mots d'un homme qui sait qu'il n'est rien sans les autres, tous les autres. Alors vient l'étrange prière.
Vous tous, du bout du monde et d'ici, vous tous qui m'avez fait ce que je suis, donnez-moi juste la force de continuer. (p.120)"
Etienne revient à son cocon original, aux lieux et attaches de l'enfance, pour retrouver l'espoir et l'élan pour reprendre pied dans ce monde, où il a vu, photographié des ultimes violences. De ce choix professionnel, on ne peut en sortir indemne !
Il est aussi beaucoup question d'une souffrance particulière, celle de l'attente, l'attente de ceux envers celui ou , celle qui est parti(e), qui par ses choix de vie ou de profession, comme Etienne, est de passage, continuellement en partance permanente... Ceux qui restent, doivent vivre avec cet état éprouvant, destructeur de l'attente...
Les thèmes, comme le style de Jeanne Benameur, me prennent à la gorge...car quelque que soit le cadre de la fiction, il est toujours question du noyau central de l'humain, de ses aspirations, de ses exigences, de ses rêves, ses failles....
Tout cela dans une langue poétique, fluide, magique...
J'ai dévoré en 2 jours ce roman magnifique... du mal à quitter l'univers de Jeanne Benameur; Ainsi, en me rendant à la médiathèque, j'ai emprunté un de ses anciens romans, "Les Reliques" (Denoël, 2005)....qui promet de nouvelles émotions et instants de magie pure !
Même les sujets les plus sombres, l'auteure les éclaire de sa sensibilité , de son empathie et de sa plume originale...
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Le récit commence lorsqu' Étienne, photographe de guerre, otage, a de la chance. Il est vivant. Il rentre. Aprés plusieurs mois de captivité, ses ravisseurs l'ont conduit, les yeux bandés, jusqu'à un avion. Ils s'apprêtent à le faire libérer. Se lancer dans la joie du mot" libre", il ne peut pas. Suspendu. Il se rappelle le jour" Oú toute sa vie est devenue juste un petit caillou que l'on tient serré au fond d'une poche...."Jeanne Benameur, comme à son habitude, nous enveloppe de lenteur, tisse patiemment, en prenant son temps, la trame fragile du retour à la vie de cet homme tout petit, réfugié en lui - même, cabossé qui pense à tous les êtres laissés derrière lui. La romancière travaille les mots précisément comme l'ébéniste travaille le bois, magnifiquement....se met à la place d'Etienne, ressent la douleur extrême, l'attente, le vide, " Il y a des nuits oú tout l'espace de la mémoire se déploie, les territoires sont ouverts" ....L'enfermement creuse les failles. Jusqu'où ? Les questions fusent : Faut- il accepter qu'il n'y ait aucun refuge?Peut- on reprendre sa vie d'avant ?Si l'on a connu la peur et la barbarie, faut - il inventer la paix, la douceur, la beauté quand même? Faut- il inventer le visage neuf des jours neufs?
Parmi les voix qui enrichissent ce récit hypnotisant, sans cesse traversé par l'intériorité et l'intime de soi, la retenue, l'apaisement, la suspension du temps, il y a celle d'Irène, la mére d'Etienne qui ne réussit d'abord à renouer les fils avec son fils qu'à travers les notes de musique du piano, dans la maison familiale, redevenue un refuge, un entre - soi originel .Plane aussi l'ombre d'Emma, l'ex compagne, otage de l'attente, du vide de l'attente.....Puis Enzo, le fils de l'Italien, le taiseux, le créateur de beauté à travers le travail du bois : il est là , l'ami d'enfance sécurisant ! Enfin, la petite qui vient de loin, Jofranka, devenue avocate à la Haye, qui aide les femmes victimes de guerre ....Elle revient au village et sème le trouble entre ces trois là, entre eux, une géographie muette se met en place....
La romancière explore le thème de l'intimité, habite et habille la solitude de l'otage après sa libération sans à priori , sans faux -semblants, sans fioritures, avec grâce et apaisement, en avançant sur le fil de la liberté vraie, en équilibre instable, semblable à nos vies.
" On Croirait avoir trouvé la paix mais la vie est inventive. Elle revient déranger tout votre petit monde paisible. Et il faut bouger."
Trés difficile de trouver les mots justes pour qualifier ce beau récit , intimiste, lent, doux, entêtant , ce "confinement ", cette "suspension." Ce ré- apprivoisement !
Magnifique !
Quelle est la part d'otage en chacun de nous?
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Jeanne Benameur interroge le retour d’un otage revenu de captivité. Une réflexion sur ces lieux de l’intime de soi que l’on préfère ne pas trop remuer.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Page 68
Chaque nuit depuis son retour, il faut qu’il lutte pour ne pas se sentir réduit. Il lutte contre le sentiment d’avoir perdu quelque chose d’essentiel, quelque chose qui le faisait vivant parmi les vivants. Il n’y a pas de mots pour ça. Alors dormir dans la chambre de l’enfance, non. Il a besoin d’un lieu que son corps n’a jamais occupé, comme si ce corps nouveau, qui est le sien ne pouvait plus s’arrimer aux anciens repères. La grande, l’immense joie du retour qu’il n’osait même plus rêver, il n’arrive pas à la vivre. Il est toujours au bord. Sur une lisière. Il n’a pas franchi le seuil de son monde. L’exil, c’est ça ?
Irène s’est obligée à se lever. Ne pas laisser les larmes lui monter aux yeux quand elle le sent partir à nouveau si loin. Elle retourne à la cuisine. Lui parler d’une autre pièce, c’est plus facile. Elle lance les paroles qui polissent les petites choses du quotidien Dis-moi de quoi tu as besoin mon grand. En réponse Tout va bien maman.
Il y a parfois dans les ciels tumultueux de printemps, au bord de l’océan une clarté brusque qui aveugle contre l’ardoise miroitante des nuages. Dans une déchirure du ciel, inattendu, un bleu, irisé de lumière et de pluie, lavé, incroyable. Un bleu de miracle. C’est là que se tient la mère. Juste sa peau contre les nuages.
Une bourrasque et elle pourrait disparaître.
L’indécision de la lumière alors, c’est sa vérité.
Il regarde au soleil l'enveloppe. L'écriture, il la connaît si bien. Elle glissait des mots d'amoureuse dans son sac, dans ses poches, et les toucher, seulement les toucher du bout du doigt, au milieu du chaos, c'était retrouver un fragment de nuit avec elle, son odeur. L'envie furieuse de rentrer. Pourquoi aller se jeter dans ces lieux dévastés du monde. Dans son dernier voyage, il lui est arrivé de chercher du bout des doigts, machinalement, un petit papier au fond d'une poche. mais rien. L'histoire était finie. (p.83)
Ecouter sans frémir. Ne pas se laisser submerger par la barbarie. Ecouter les mots rares, terribles. Ne pas couper les silences. Laisser venir par fragments le récit de l’horreur. Sa conviction totale, que si un être humain peut entendre, alors celle qui parle a une chance de reprendre place dans un monde qui a dévasté et la chair et l’esprit. Parce qu’elle est bien là, la différence entre corps et chair. Les corps peuvent bien retourner à la liberté. La chair, elle, qui la délivre ? Il n’y a que la parole pour ça. P 52
La vie n'est sacrée pour personne dans les guerres. On parlera toujours du nombre des tués. Tant qu'on n'a pas vu leurs visages, on ne sait rien.
Et lui, il est là pour ça.
Il continuera à regarder les visages.
La vie ne vaut que comme ça.
Cette nuit, Etienne cesse de combattre.
Les mots qui sont là, en lui, tout simples. Ce sont les mots d'un homme qui sait qu'il n'est rien sans les autres, tous les autres. Alors vient l'étrange prière.
Vous tous, du bout du monde et d'ici, vous tous qui m'avez fait ce que je suis, donnez-moi juste la force de continuer. (p.120)
Après notre entretien avec Chloé Deschamps, créatrice du compte Instagram @aquoibonlespoetes, nous poursuivons notre exploration de l'univers poétique.
Dans la 2ème partie de cet épisode spécial Poésie, nous sommes en compagnie de Laure, libraire à Dialogues.
Bibliographie :
- le Pas d'Isis, de Jeanne Benameur (éd. Bruno Doucey)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20130380-le-pas-d-isis-jeanne-benameur-editions-bruno-doucey
- Made in woman, d'Hélène Dassavray (éd. La Boucherie Littéraire)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16144462-made-in-woman-helene-dassavray-la-boucherie-litteraire
- Prends ces mots pour tenir, de Julien Bucci (éd. La Boucherie Littéraire)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20480403-prends-ces-mots-pour-tenir-bucci-julien-la-boucherie-litteraire
- Faiseur de miracles, de Fadhil Al-Azzawi (éd. Lisières)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/15531936-faiseur-de-miracles-suad-labiz-ed-lisieres
- Brûler, Brûler, Brûler, de Lisette Lombé (éd. L'Iconoclaste)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/17378935-bruler-bruler-bruler-lisette-lombe-l-iconoclaste
- Des Frelons dans les coeurs, de Suzanne Rault-Balet (éd. L'Iconoclaste)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/17378693-des-frelons-dans-le-coeur-suzanne-rault-balet-l-iconoclaste
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