Ce roman est bouleversant à tous points de vue. On voit évoluer Luce et sa mère, dans un univers à part, où tout est vécu à un rythme particulier comme au ralenti. Au début, on a l'impression que la Varienne est dure, car elle n'exprime pas sa tendresse, son amour pour sa fille par des mots. Ici, tout est en nuance, la communication est presque tactile, et on en ressent la force dans l'écriture de
Jeanne Benameur. L'essentiel est dit, vécu, c'est palpable pour le lecteur. Il y a une sorte d'osmose entre elles.
On commence à le sentir lors du premier jour d'école, la première séparation de ce couple mère-fille qui va se trouver modifié par ce changement important.
Il y a aussi les autres : les autres enfants, les autres adultes, qui pensent que si la mère est « demeurée », la fille l'est forcément. Mais la mère, elle, sait que sa fille a cette lumière dans l'oeil, qu'elle-même n'a pas, que l'intelligence est là, la curiosité. Mas comment transmettre ce que l'on ignore, parler quand on ne sait pas, quand le ressenti est tellement plus fort que les mots.
En voulant transmettre à tout prix, l'institutrice, Mademoiselle Yolande va rompre un équilibre et la petite fille tombera malade. La mère et la fille se nourrissent l'une de l'autre, chacune ressent dans sa chair, ce qui tourmente l'autre. Peu à peu, Luce va trouver elle-même le chemin, et de façon magistrale.
Jeanne Benameur nous fait un récit flamboyant, tout en nuance, ciselé, elle joue avec les mots, comme d'un instrument de musique, et nous fait explorer tout ce que l'on peut associer au mot « demeurée », attardée mentale, mais aussi demeurer dans l'instant
présent, où demeure-t-on ?
Son écriture enchante, tant elle est belle, tant les mots sont précis, forts, tant elle fait irradier l'amour dans une situation difficile. Elle parle une langue nouvelle, remaniée et pousse la réflexion vers ce qu'est l'intelligence, et où sont les limites de l'apprentissage pour la développer, pour aller vers l'intelligence du coeur. Chaque mot est important. du travail d'orfèvre. J'aime les auteurs qui manient ainsi la langue, qui se la réapproprie presque. J'ai eu envie de recopier des phrases entières, (et presque tout le livre…)
C'est un récit court, à peine 84 pages, mais d'une telle intensité que j'en suis restée figée, ébahie, et avec une sensation de plénitude, comme si l'on avait mise sous perfusion, chaque mot fait son chemin … un titre vient à l'esprit tandis que j'écris : « Les nourritures terrestres » de
Gide.
Jeanne Benameur m'a nourrie affectivement, littérairement aussi.
C'est le deuxième roman de
Jeanne Benameur que je lis (je l'ai découverte avec «
Profanes » qui a également laissé une empreinte particulière en moi). Et c'est un nouveau coup de foudre. Je vais suivre cette auteure de très près et essayer de lire tous ses textes. J'ai hâte de retrouver sa petite musique. Et bien entendu: coup de coeur.
Note : 9,5/10
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