Ah ! Prolonger encore cet état de vacance, cet abandon d'un temps uniquement rythmé de rentabilité, ces moments offerts-ouverts à notre seul gré... Ah ! Rester là où les congés estivaux nous ont portés, immergés dans le bleu et dans l'oubli du bureau, de l'usine, de l'école, maîtres de nos journées et de nos nuits... Qui n'en a jamais rêvé ? Qui, un jour, n'a pas prononcé, mi-figue mi-raison, ce souhait improbable : "Et si on ne rentrait pas ?"
Oui après tout que se passerait-il si "on ne rentrait pas" ? Si les vacanciers du mois d'août décidaient, sans s'être concertés, de bouder autoroutes, embouteillages, retours, bison futé et autres jalons d'une rentrée forcément morose, qu'adviendrait-il ?
C'est à partir de cette situation initiale stimulante qu'est construit le premier roman de
Stéphane Benhamou : les "Aoûtiens" prolongent leurs vacances et repoussent leur rentrée à une date ultérieure. Employé au Ministère des Transports, Michel
Chabon (faut-il voir dans ce patronyme un clin d'oeil au roman uchronique de
Michael Chabon ?) est justement parti vers le Sud pour remplir sa mission : vérifier la pertinence et le style des affichages lumineux sur les autoroutes. Comme il est sur place, il est chargé par le ministre lui-même d'enquêter sur les motivations de ces vacanciers réticents qui refusent de laisser la place aux touristes de septembre. Sauf que personne ne souhaite se justifier ou s'expliquer. Comme le Bartleby de Melville, ils préfèrent simplement "ne pas". Mais leur obstination silencieuse est cause d'une crise sans précédent...
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La rentrée n'aura pas lieu" m'a prise à contrepied car (j'ignore pourquoi) je m'attendais à un traitement comique, voire burlesque, de ce sujet excitant. Or il réfère davantage à une satire plus cruellement grinçante que drôle. Menant l'idée de départ jusqu'au bout et explorant toutes les conséquences économiques, sociales, politiques, morales d'un tel refus de rentrer, l'auteur offre le reflet de notre société actuelle et l'image que nous rend ce miroir ne prête pas tellement à rire. Rapport au travail, aliénation, processus d'exclusion, rejet de l'Autre, mercantilisme, populisme, appel à la haine, lassitude, dépression... la fable que nous conte
Stéphane Benhamou passe notre présent à la moulinette pour en faire saillir les dysfonctionnements.
Pour moi le propos eût peut-être pris davantage de virulence si l'écriture en avait été plus fluide. L'emploi systématique du discours indirect libre m'a semblé alourdir le récit et en gommer la vivacité. Je me suis parfois ennuyée pendant cette lecture, alors que l'histoire me paraissait passionnante, car j'attendais plus de dynamisme et d'énergie dans le fil narratif.