Citations sur La dame à la camionnette (35)
Il était rare qu’on lui rende le moindre service sans avoir en même temps envie de l’étrangler.
Plus tard je me rends au bureau des pompes funèbres afin d'organiser les funérailles et le patron me présente ses excuses pour la manière dont son employée m'avait répondu lorsque j'avais téléphoné la première fois, me lançant d'un air excédé : "Qu'est-ce que vous voulez au juste?" N'ayant jamais imaginé que les raisons qui poussent les gens à appeler les pompes funèbres puissent être d'une grande variété, j'étais resté un peu interloqué. "Vous voulez qu'on vienne vous débarrasser?", avait-elle ajouté sans ménagement. Le patron me confie qu'elle n'avait d'abord pas pris mon appel au sérieux, ce qui explique son attitude peu amène.
- Vous n'imaginez pas le nombre de canulars dont nous sommes victimes de nos jours. Il m'arrive souvent d'aller chercher le cadavre d'un homme qui vient m'ouvrir sa porte en personne, tout aussi étonné que moi.
Miss S. ne faisait pas la différence entre la peinture émaillée dont on se sert pour la carrosserie des voitures et la laque ordinaire, qu'elle ne se souciait d'ailleurs pas de mélanger...Résultat, ses divers véhicules donnaient tous l'impression d'avoir été recouverts d'une couche d'oeufs brouillés ou de crème anglaise constellée de grumeaux.
mais bien que le bras de Miss S. soit élégamment tendu afin d'indiquer qu'elle va déboiter (pour aller se garer cinq mètres plus loin), la camionnette n'avance pas d'un pouce.
- Vous avez desserrer le frein à main ? lui demande Nick Tomalin.
Un silence s'ensuit.
- Je m'apprêtais à le faire....
Aucun parti politique ne correspond vraiment aux opinions de Miss S. mais c'est le national Front qui s'en approche le plus. Elle a toujours été viscéralement anticommuniste et avait écrit dès 1945 une lettre à Jésus "concernant l'effroyable menace qui découle des accords de Yalta". Le problème, c'est que ses opinions, qui n'ont rien de modéré, se sont toujours heurtées à sa conception un peu particulière de la nature humaine. Plus on est vieux et plus on est sage, selon elle, ce qui peut se défendre (encore que ce soit discutable) : mais elle ajoute à cela qu'on est également beaucoup plus sage lorsqu'on est plus grand...
Miss S. adorait le jaune (" la couleur du pape") et ne se résolvait jamais bien longtemps à conserver la teinte d'origine de ses véhicules. Tôt ou tard on finissait par la voir faire lentement le tour de son domicile ambulant (bien qu'immobilisé) dont elle badigeonnait peu à peu la carrosserie rouillée, un petit pot de peinture jaune primevère à la main.
Mars 1987. Les religieuses en haut de la rue - ou plus exactement "les soeurs", comme les désigne toujours Miss S. - lui ont proposé de faire une partie de ses courses. L'une d'elles a déposé un sac à l'arrière de la camionnette ce matin. Il contient les incontournables biscuits au gingembre, ainsi que plusieurs paquets de serviettes hygiéniques. Je comprends qu'il lui soit difficile de me demander d'acheter ce genre d'articles, mais exiger ce service d'une religieuse ne doit pas être très évident non plus. Ces serviettes font partie du complexe dispositif qu'elle a mis en place, relatif à sa toilette, et elle les fait régulièrement sécher sur la plaque incrustée de potage de sa cuisinière électrique. Comme m'a dit le facteur ce matin : "L'odeur qui s'en dégage est parfois difficilement supportable."
- J'ai croisé un serpent cet après-midi, me dit Miss Sheperd. Il remontait Parkway. Un serpent gris, très long - un boa constrictor, selon toute vraisemblance... Il avait l'air venimeux. Il rasait le mur de près et semblait savoir où il allait. Il se dirigeait vers la camionnette, selon toute vraisemblance.
"... Oh, Mr Bennett... Si vous pouviez aussi me rapporter une petite flasque de whisky...Du Bells, si vous en trouvez, je crois que c'est une bonne marque. Ce n'est pas pour le boire- Je m'en sers pour me faire des frictions."
La couverture qu'elle a étalée sur sa poussette est couverte de lessive en poudre.
- Le paquet s'est renversé ? lui demandé-je.
- Non, me dit-elle avec mauvaise humeur, irritée de devoir m'expliquer quelque chose d'aussi évident. C'est de la lessive en poudre : lorsqu'il pleuvra, cela nettoiera la couverture.