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Critique de Lamifranz


Pour une fois, Pierre Benoit ne nous invite pas à partir hors de France, dans des pays étrangers où ses personnages se trouvent confrontés à des aventures hautes en couleur, à des dilemmes moraux, à des passions contrariées… Non cette fois-ci, il ne quitte pas la France, et place son histoire dans une région qu'il connaît bien, son cher Sud-Ouest, et plus particulièrement ce pays landais, dans la région de Dax. Un pays de pins et de marécages, où l'odeur de résine vous monte à la tête, où les passions s'exacerbent sous un soleil impitoyable. C'est un peu plus au sud de Malagar, mais on retrouve ici cette torpeur propre aux songes éveillés, cette atmosphère lourde et pesante d'avant l'orage, qui marque les coeurs et les esprits, comme dans les meilleurs romans de François Mauriac.
« Mademoiselle de la Ferté » (1923) est une curieuse histoire de trahison et de vengeance. Mais à des années-lumière de Monte-Cristo, cette histoire se déroule dans un univers feutré, où les sentiments ne sont pas ce qu'ils semblent être, sans qu'on puisse en dire avec certitude de quoi ils sont faits.
Mademoiselle de la Ferté (Anne, de son prénom, ce qui ne devrait pas vous étonner, ça commence par un A, comme toutes les héroïnes de Pierre Benoit) et Jacques de Saint-Selve s'aiment et sont près de se marier. Mais le père d'Anne, un inconstant qui a dilapidé son patrimoine en opérations hasardeuses pour ne pas dire, scabreuses, meurt en laissant sa femme et sa fille à moitié ruinées. le mariage est repoussé d'un an. Jacques part pour affaires à Haïti. Un an en plus tard, il revient, mais marié à la jolie Galswinthe. Il meurt subitement et Galswinthe vient s'installer à deux pas de la maison d'Anne. S'ensuit un huis-clos à ciel ouvert entre les deux jeunes femmes qui de façon imperceptible, construisent un mariage à trois avec l'ombre du mort, et des sentiments extrêmement diffus où se mêlent la vengeance, l'amitié, et même une sorte d'amour. C'est tout l'art de Pierre Benoit, de raconter par petites touches ces atermoiements du coeur humain, où les âmes se rapprochent, s'écartent et se rapprochent à nouveau. Qui sera la plus forte chez Mademoiselle de la Ferté, Anne la vengeresse, hautaine, indomptable, la rivale de Galswinthe ? ou l'autre Anne, la secrète, la douce, l'amie très chère (à quel point, l'auteur laisse imaginer le lecteur) de Galswinthe ?
A ce jeu subtil des sentiments se superpose le décor particulier, oppressant et étouffant de ces landes qui distillent une atmosphère étrange, bien propice aux manoeuvres machiavéliques des protagonistes : il n'y a pas d'ambiguïté, chacune sait exactement ce que l'autre était pour Jacques, et pourtant il se joue un jeu de chat et de souris, où l'auteur prend plaisir à plonger le lecteur, le laissant dans l'expectative de ce qui va se passer. En arrière-plan de ce drame sentimental, il y a une description féroce des mentalités bourgeoises de l'époque, où la valeur du patrimoine est dominante sur toute autre considération. Vraiment, on n'est pas très loin de Mauriac qui a la même époque aligne ses premiers succès : « le Baiser au lépreux » (1922), « le Fleuve de feu » (1923), « Génitrix » (1923), etc.
« Mademoiselle de la Ferté » est, après « L'Atlantide » et « Koenigsmark » (dans un genre un peu différent) l'un des plus grands succès de Pierre Benoit : il prouve qu'il peut être aussi un fin analyste de l'âme humaine (et particulièrement féminine, comme ici) et un romancier hors pair qui sait tirer de sa plume des sentiments contrastés chez le lecteur : par les silences, les non-dits, les aveux sincères ou non, les états d'âme tour à tour romantiques et furieusement réalistes, Pierre Benoit fait d'Anne de la Ferté un des plus beaux portraits de femme de sa collection déjà bien riche : au bout du roman, le lecteur ne peut toujours pas décider si le personnage est positif ou négatif, mais à coup sûr il s'est attaché à cet être de chair et de sang, partagé entre l'amour et la haine (sans préciser qui aime qui et qui hait qui), entre Eros et Thanatos…
Un très grand Pierre Benoit.
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