Citations sur Marianne, tome 4 : Toi Marianne (35)
Elle se retrouvait confrontée à sa propre réalité : une très jeune femme abandonnée, meurtrie et douloureuse, suppliciée par le besoin enfantin d’être aimée. La vie et les hommes la malmenaient, comme si elle était de taille à résister à leur méchanceté, à leur égoïsme. Tous ceux qui l’avaient aimée avaient tenté de l’asservir, de s’en rendre maître... sauf peut-être l’ombre ardente qui l’avait possédée dans la nuit de Corfou ! Celui-là n’avait rien demandé, qu’un plaisir qu’il avait rendu au centuple. Il avait été doux... si doux et si tendre à la fois ! Son corps s’en souvenait avec bonheur comme dans la torture de la soif et il s’était souvenu de toutes les eaux fraîches qu’il avait connues.
Quant aux légendes, il y a toujours moyen de s’arranger avec elles ! Pour qu’elles finissent bien, il suffit souvent de le vouloir... et d’en changer quelques lignes !
Quand donc apprendrez-vous que les hommes ont une vie à eux et entendent la vivre comme bon leur semble. Allons venez, ajouta-t-il plus doucement, je vous ramène chez vous ! Mais que Dieu me damne si je vous laisse encore seule avant que je ne le juge bon !
Marianne, Marianne ! Oublie tout cela... tout ce qui n’est pas nous ! Oublie Napoléon, oublie qu’il y a quelque part au monde un homme dont tu portes le nom, oublie comme je l’oublie moi-même que Pilar vit toujours, dans je ne sais quel coin caché de l’Espagne où elle a choisi de résider car elle me croit toujours au bagne et espère bien que j’y mourrai ! Il y a nous deux, rien que nous deux... et il y a la mer, là... tout près... à nos pieds !
Tu es bien une femme pour user de tes forces en larmes et en regrets quand nous sommes encore en danger.
Elles étaient des femmes, enfin, pas des pièces d’échecs ou des enjeux ! Elles avaient des vies normales, pas des destins aberrants réglés par quelque démiurge fou, qui semblait prendre un malin plaisir à tout défigurer !
Le mieux est encore que l’on t’entende le moins possible, mais si tu dois le faire, emploie l’italien. Ces îles ont longtemps été vénitiennes ; c’est un langage que l’on comprend encore. Et n’oublie pas de tutoyer tout le monde. Le langage diplomatique a fort peu cours chez nous...
Les Turcs disent que la vérité plane et ne se laisse jamais dominer. La tienne rend un son étrange... comme toutes les vérités.
La musique des mots, l’inimitable beauté de la langue grecque entraient dans Marianne et prenaient possession de son être à peu près désincarné. Elle avait l’impression que l’ardente imploration jaillissait de son propre cœur. Elle aussi avait mal à l’âme, elle aussi souffrait d’amour blessé, d’amour défiguré, avili, devenu grotesque. La passion dont elle vivait s’était retournée contre elle et la déchirait de ses griffes.
Vaincue à la fois par la douleur et la fatigue, elle prit le parti de dormir afin de retrouver, dans le sommeil, un peu des forces qui lui manquaient encore. Et puis, quand la curiosité vous dévore, dormir est encore la meilleure manière d’abréger le temps.