“
Alliance”… Très beau titre qui exprime parfaitement ce qui se joue entre Sonia et Hugo, les deux personnages principaux de cette histoire d'amour grinçante.
Survivre à son enfance catastrophique ne veut pas dire s'en débarrasser, bien au contraire, Sonia le sait.
Cela veut dire puiser dans les vérités qu'elle recèle, et les raconter (à Hugo) pour pouvoir sortir de la culpabilité, de la victimisation, du désir de vengeance. Il s'agit d'une bataille qui exige le soutien, la compréhension et la solidarité : traiter les déchets radioactifs de son histoire, de leurs histoires (Hugo a aussi sa part de tragédie à digérer), pour devenir un couple sain, capable de transmettre la vie sans risque de la contaminer avec des fonds de poubelles “oubliés”.
C'est un roman tellement vivant qu'il semble se construire sous nos yeux – et ça, de mon point de vue, c'est un des grands bonheurs qu'offre ce livre –, en s'appuyant sur le désir d'écrire nourrit par les blessures d'enfance, de celles qui n'en finissent pas de répandre leur purulence de génération en génération.
L'agressivité créatrice que déploie Sonia pour survivre à son enfance est à la hauteur des résolutions assassines de sa mère. En effet, la Marilyn, sa mère borderline, a tout de suite compris que Sonia était douée de nombreuses facultés et sûrement capable d'échapper un jour à la crasse morale, psychologique et physique de sa famille, et de cette évasion possible, elle n'en veut pas, plutôt tuer la traitresse. Il ne s'agit pas d'une figure de style. La menace de mort est bien réelle. Pour cause de destin déloyal.
C'est une chose singulière et émouvante que cette plongée dans la clinique des souffrances de Sonia, l'exploration des tenants et aboutissants de ses drames, mais aussi de ses espoirs, de ses désirs de bonheur.
La puissance phénoménale de son imagination, de sa créativité, nous emporte dans une traversée tumultueuse de son passé. On parcourt tous les degrés de l'émotion par la voie de l'introspection à deux – un autre terme serait mieux adapté, la voie de intelligence de soi peut-être, ou de la lucidité, de la sincérité, tout cela combiné en fait, tout simplement – à travers un dialogue à la fois secret et lumineux entre deux sensibilités profondément à l'écoute l'une de l'autre, celles de deux rescapés qui se reconnaissent et s'épaulent mutuellement.
L'énergie gronde et éclate dans chacune des phrases de ce texte, tendu comme un filet à mailles fines pour saisir les moindres particules de vérités. C'est une espèce d'attrape-rêves, qui recueille aussi bien les cauchemars que les moments heureux, dispositif inventé très précocement par Sonia avec ses cahiers clandestins d'écriture, puis ses notes sauvages sur feuilles volantes.
Depuis sa rencontre avec Hugo, tout prend forme et cohérence peu à peu, la nécessité du récit à deux pour fabriquer du bonheur, éclaire, organise et harmonise leurs souvenirs. Et les plis de l'histoire sont profonds, complexes et multiples. L'écriture de
Marie Berchoud est inventive et efficace, elle explore les moindres plicatures et villosités, sinuosités et méandres psychiques et organiques.
C'est vrai, cinglant, beau, glauque et bouleversant, drôle et poétique, sagace et lumineux, ironique et lyrique.
J'adore le style fou et dansant de
Marie Berchoud :
« Alors ils se taisent ensemble et ça dure, le temps s'effiloche, en eux du secret s'ouvre comme nénuphars sur un étang rêveur. »
« Elle est embrouillée, parfois vertigineuse, la voie vers soi et son passé. Les nuits où je suis seule, une alerte interne me réveille vers deux heures, au milieu ou à la fin d'un rêve, alors remonte en moi la houle du souvenir, je ressens, je suis elle-moi, je me lève et je raconte. »