Notre intelligence est le prolongement de nos sens. Avant de spéculer, il faut vivre, et la vie exige que nous tirions parti de la matière, soit avec nos organes, qui sont des outils naturels, soit avec les outils proprement dits, qui sont des organes artificiels.
La réalité coule nous coulons avec elle ; et nous appelons vraie toute affirmation qui, en nous dirigeant à travers la réalité mouvante, nous donne prise sur elle et nous place dans de meilleures conditions pour agir.
À celui qui ne serait pas capable de se donner à lui-même l'intuition de la durée constitutive de son être, rien ne la donnerait jamais, pas plus les concepts que les images. L'unique objet du philosophe doit être ici de provoquer un certain travail que tendent à entraver, chez la plupart des hommes, les habitudes d'esprit plus utiles à la vie.
Toute la complexité de [l]a doctrine [d’un philosophe], qui irait à l'infini, n'est donc que l'incommensurabilité entre son intuition simple et les moyens dont il disposait pour l'exprimer.
La philosophie n'est pas une construction de système mais la résolution, une fois prise, de regarder naîvement en soi et autour de soi.
Notre initiation à la vraie méthode philosophique date du jour où nous rejetâmes les solutions verbales, ayant trouvé dans la vie intérieure un premier champ d'expérience.
Tout l'objet de la Critique de la Raison pure est en effet d'expliquer comment un ordre défini vient se surajouter à des matériaux supposés incohérents. Et l'on sait de quel prix elle nous fait payer cette explication : l'esprit humain imposerait sa forme à une « diversité sensible » venue on ne sait d'où ; l'ordre que nous trouvons dans les choses serait celui que nous y mettons nous-mêmes. De sorte que la science serait légitime, mais relative à notre faculté de connaître, et la métaphysique impossible, puisqu'il n'y aurait pas de connaissance en dehors de la science. L'esprit humain est ainsi relégué dans un coin, comme un écolier en pénitence : défense de retourner la tête pour voir la réalité telle qu'elle est. – Rien de plus naturel, si l'on n'a pas remarqué que l'idée de désordre absolu est contradictoire ou plutôt inexistante, simple mot par lequel on désigne une oscillation de l'esprit entre deux ordres différents : dès lors il est absurde de supposer que le désordre précède logiquement ou chronologiquement l'ordre. Le mérite du kantisme a été de développer dans toutes ses conséquences, et de présenter sous sa forme la plus systématique, une illusion naturelle. Mais il l'a conservée : c'est même sur elle qu’il repose.
La forme n'est que du mouvement enregistré ....
Nous prenons si souvent l'appareil logique de la science pour la science même, oubliant l'intuition d'où le reste a pu sortir.
Les discussions relatives au libre arbitre prendraient fin si nous nous apercevions nous-mêmes là où nous sommes réellement, dans une durée concrète où l'idée de détermination nécessaire perd toute espèce de signification, puisque le passé y fait corps avec le présent et crée sans cesse avec lui […].