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Citations sur Les mutations de la lecture (37)

(François Gèze)

Le latin, le grec, la philosophie sont la base des humanités. Il est certain que nous avons changé de modèle. Le baby-boomer est curieux, mais il n'est pas porté par la culture des humanités. Il l'a été bien davantage par une culture beaucoup plus politique, un air du temps, une ébullition intellectuelle qui ont encouragé à lire. (...)

Ce second modèle culturel a ensuite disparu chez les jeunes générations : dans les années 1980 s'est imposé un modèle utilitariste de rapport à la connaissance en général, à l'écrit et au livre en particulier. C'est celui qui domine encore aujourd'hui chez les étudiants.
Depuis trois décennies, ce changement s'est donc assez logiquement traduit par le déclin de la part des grands lecteurs chez les jeunes.

Mais également, c'est le paradoxe de la situation, par la multiplication des faibles et moyens lecteurs, qui a permis un élargissement spectaculaire de l'accès au livre. Les statistiques sur le nombre de livres vendus en France en témoignent : nous sommes passés de quelque 300 millions de volumes vendus dans les années 1980 à 450 millions aujourd'hui. La population n'ayant pas autant augmenté, nous vendons donc plus de livres par habitant.

Il conviendrait toutefois de faire des analyses plus fines que celles du ministère sur les pratiques culturelles, bien que celles-ci soient très utiles, en se focalisant en particulier sur les pratiques de lecture - de lecture et pas seulement d'achat, car on lit plus de livres qu'on n'en achète puisque ceux-ci se prêtent, s'empruntent.
Ce que montre le sociologue Bernard Lahire dans son ouvrage La Culture des individus, c'est que nous n'avons plus de culture dominante, la culture des humanités ainsi que la culture engagée des baby-boomers ayant disparu. (...)
Ce qui me frappe depuis maintenant quinze ans, c'est ce que me disent les libraires de façon constante : "Nous ne comprenons plus ce qui se passe dans notre clientèle." Et plus le temps passe, plus ce phénomène s'accentue.
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- Le numérique vous semble-t-il une menace à court, à moyen ou long terme pour le poche ? Si le numérique devient de plus en plus tentant ou intéressant pour le public, est-ce que le poche ne perdra pas un peu de sa spécificité - être le livre le plus accessible pour tous ?

- (François Laurent, Univers Poche)
Oui, il y a une menace et particulièrement dans le domaine du reprint. Tout dépend de la politique de prix des éditeurs, de la manière dont ils entendent gérer le numérique.

Nous ne sommes pas tout à fait dans le cas de figure américain ou même anglais. Les librairies sont mortes dans ces pays, ce sont les supermarchés qui font la loi. Aux Etats-Unis où il n'y a pour ainsi dire plus de librairies, les chaînes elles-mêmes sont en difficulté. Borders a mis la clé sous la porte. Seul Amazon se porte bien et pèse sur ce marché. Les éditeurs ont là très peu de marge de manœuvre.
En France reste quand même un tissu très riche de librairies qui sont efficaces. Il y a un maillage du pays qui est très fort. Dans les villes, le livre est encore très présent : dans les endroits où l'on achète de la nourriture, on vend du livre, dans les magasins de bricolage, on vend du livre, dans les maisons de la presse, on vend du livre. Le livre est partout chez lui.

Il peut être détrôné, les nouvelles technologies peuvent effectivement le faire tomber de son piédestal. Il est inévitable que l'e-book prenne une part du marché et bouscule les équilibres existants, et il est tout à fait possible que ce soit le poche qui en souffre le premier, le poche qui pour l'instant nourrit pour une bonne part l'économie du livre qui risque d'être secouée d'un même mouvement. Mais quand ? Comment ? Et dans quelle proportion ? C'est bien difficile à dire.
L'offre numérique française n'est pour l'instant pas très importante par rapport à celle des Anglo-Saxons. Sur Amazon, aux Etats-Unis, on peut pratiquement tout acheter en numérique. Ce n'est pas du tout le cas en France aujourd'hui
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(Martine Poulain)

Depuis longtemps, la technique va beaucoup plus vite que nos cerveaux. Cette accélération de la technique demande un travail fou d'adaptation aux humains ! Nous n'avons pas le temps de nous adapter à une technique qu'une nouvelle apparaît déjà. Mais en même temps que l'homme subit la technique, il la domestique, il l'influence, il lui donne d'autres sens et d'autres usages que ceux prévus par les concepteurs.
Qu'a à voir l'Internet d'aujourd'hui avec les usages prévus lors de son invention par des militaires américains ? Techniques et usages se confrontent et s'influencent. Les bibliothèques, comme d'autres groupes sociaux, ont à explorer les possibilités des techniques inventées pour proposer ce qui peut enrichir l'esprit humain.
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(Olivier Donnat)
- Internet transforme radicalement notre rapport au livre et à la culture en général ; sur ce point, on ne peut que renvoyer aux réflexions d'historiens comme Roger Chartier qui considère que les mutations que nous vivons aujourd'hui sont du même ordre que celles qui avaient suivi la naissance de l'imprimerie au XVe siècle. La diffusion d'Internet a été d'autant plus rapide et ses effets d'autant plus massifs que le terrain avait été largement préparé par la montée en puissance régulière des consommations audiovisuelles depuis la fin des années 1960.
Les jeunes générations ayant grandi avec la télévision et la musique ont un imaginaire fortement structuré par l'image et par le son, ce qui les rend peut-être moins sensibles aux formes d'expression comme la littérature qui suppose de faire fonctionner son propre imaginaire à partir des mots et des mots seuls.
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L'individu post-moderne a oublié que la liberté était autre chose que le pouvoir de changer de chaîne (de télévision).
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(Ancien éditeur chez Gallimard, auteur d'études sur le livre et l'édition, François Laurent est directeur général adjoint d'Univers Poche)

Des textes exigeants font de belles carrières en librairie, on le voit tous les jours. Ce ne sont pas des textes que nous aurions spontanément publiés car bien des titres de qualité passent totalement inaperçus et le poche a quand même avant tout une fonction d'augmentation ou d'amplification de la diffusion à partir d'un premier succès.

Pocket est une maison de mass-market, de grande diffusion, ce n'est pas notre vocation première que d'aller chercher des titres inconnus pour les révéler ou les faire connaître d'un large public. En revanche, certains titres (...) de très bonne tenue, ont toute leur place chez nous, car nous pouvons leur permettre de toucher un public encore plus large.

Qu'un texte soit très littéraire ou non, notre réflexe est toujours de nous interroger sur son potentiel de vente. Réussir à vendre quatre, cinq ou six mille exemplaires est sans doute appréciable en grand format, mais pour Pocket c'est trop faible ; ces chiffres ne sont pas ceux d'un marché de masse.
Nous cherchons des auteurs qui nous semblent avoir une marge de développement pour arriver à des niveaux de vente élevés voire très élevés.
Quelqu'un comme Yasmina Khadra, par exemple, publié dans une maison littéraire - Julliard -, et qui n'est pas auteur de "livres faciles". Ou bien Jean Teulé. De véritables écrivains qui ont toujours publié chez Julliard et qui touchent aujourd'hui un large public.
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- Ne faut-il pas comprendre les angoisses des éditeurs qui ne savent pas encore comment ils peuvent gagner de l'argent dans cette activité ?

(Martine Poulain)
- Mais il y a déjà des livres électroniques qui se vendent ! C'est une autre économie, c'est tout. Il y a pour moi une niche pour les éditeurs, renforcée par la baisse des coûts de numérisation, ou l'utilisation de fichiers aujourd'hui directement numériques.

Il faut oser construire des secteurs numériques éditoriaux qui ne soient ni des classiques issus du patrimoine, ni des textes superficiels oubliés après deux mois d'existence. Les éditeurs ne peuvent plus se reposer sur leur stock. Il y a une politique à construire.

L'objectif des éditeurs ne peut pas consister seulement à "faire perdre Google", qui par ailleurs a fait considérablement avancer la numérisation, tant il a suscité de contre-propositions ! Il y a un besoin de construction d'alternatives qui ne peut pas être porté uniquement par les bibliothèques et par la puissance publique. Cela n'est pas normal et n'est bénéfique pour personne. Il y a une économique du livre numérique à construire, à inventer.
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(Bernard Lahire)

Dans La Culture des individus j'ai réfléchi à l'opposition - utilisée par la latiniste Florence Dupont - entre "culture chaude" et "culture froide", culture participative, festive et joyeuse d'un côté, culture cérébrale, contemplative et silencieuse de l'autre, jugée bien souvent ennuyeuse par ceux qui participent du premier type de culture. Fêtes, sports et jeux d'un côté ; lecture, contemplation ou écoute savante de l'autre. Dans les évolutions en cours, il faut réfléchir à cette opposition et voir ce que la "culture froide" fait perdre par rapport à ce que la "culture chaude" propose. Et inversement, bien sûr.

Pour en revenir à la question de la culture littéraire, je pense aussi que le cinéma a contribué à sa marginalisation parce qu'il propose en un temps limité une expérience qu'un roman propose sur plusieurs jours, et parfois plusieurs semaines. Celui qui a besoin de s'évader ou de rentrer dans des mondes de fiction et d'aventure choisit aujourd'hui plus volontiers le cinéma qui a tout bouleversé. S'il y a eu une grande et forte littérature populaire au XIXe siècle, elle est aujourd'hui, dans les mêmes proportions, impensable.

Pour la plupart des personnes qui veulent se détendre, se distraire, il est beaucoup plus facile d'aller au cinéma ou de regarder un film à la télévision : en deux heures de temps, elles ont toute l'histoire.
C'est ce que disent parfois les enquêtés : entre le livre et le film, le choix du cinéma est celui qui est le plus divertissant et agréable. Le livre nécessite un effort, un travail, phrase après phrase ; lire demande de la technique et du savoir ; celui qui ne possède pas le vocabulaire doit même stopper sa lecture pour aller chercher dans le dictionnaire le sens des mots.
Au cinéma, au bout de deux heures, que le spectateur ait compris ou non, c'est la même chose : le film est terminé.

Le lecteur, lui, déroule l'histoire du livre par lui-même jusqu'au bout, à son rythme. Un roman, même relativement court, demande souvent une semaine de lecture, parfois plus, selon le temps que l'on peut y consacrer ; il faut dans certains cas revenir un peu en arrière pour ne pas perdre le fil du récit, etc.
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- Au fond, vous êtes plutôt optimiste ...

(Olivier Donnat : sociologue au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture et de la Communication.
Il est notamment l'auteur des Français face à la culture et Regards croisés sur les pratiques culturelles)
- Jean-Claude Passeron parlait très justement dans l'un de ses textes de "l'illusion du jamais-vu" et de "l'illusion du toujours-pareil" ; plus on avance en âge, plus on devient sensible à ce qui disparaît et moins on est apte à repérer ce qui apparaît. Pour ma part je vois bien tout ce qui est en train de disparaître du monde que j'ai connu, mais j'essaie de rester attentif à ce qui est nouveau. Tout ce qui émerge aujourd'hui est très excitant d'un point de vue culturel, les nouvelles technologies offrent de réelles opportunités pour accéder aux œuvres ou produits culturels et en faciliter la circulation en supprimant les obstacles ne serait-ce que territoriaux.

Par ailleurs, comment ne pas voir dans la diffusion d'Internet au moins une promesse d'avancée du processus démocratique ? Il n'y a plus de position instituée, plus de légitimité a priori, tout le monde peut s'exprimer, c'est pour moi un extraordinaire acquis.
Cela peut bien entendu susciter de légitimes inquiétudes, mais il me paraît essentiel que les milieux culturels ne succombent pas à la tentation de la citadelle assiégée.

Dans le domaine de la littérature, le danger est réel, le livre numérique peut être une chance pour certains, un tombeau pour d'autres, les éditeurs ont raison d'être perplexes, bien des questions liées à l'électronique restent en suspens - quel modèle économique risquent d'imposer les majors du numérique, Google, Apple, Amazon ? comment se prémunir contre le piratage ? etc. -, mais le repli n'est pas une solution.
Il faut s'efforcer de comprendre la portée des mutations à l'œuvre et non se murer dans une position d'hostilité, de fermeture.
Les jeunes générations ont des habitudes, des pratiques, radicalement distinctes de celles des générations précédentes, leur rapport à l'imaginaire, à l'information, à la culture, est différent, ils ont des attentes et des manières de s'approprier les offres culturelles qui sont différentes. Il faut s'y faire, que cela plaise ou non, tout retour en arrière est impossible.
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C'est ni plus ni moins l'idéal des Lumières qui a été liquidé. Car que vaut la liberté sans savoir ou sans éducation ? Comment être libre sans être capable de s'autonomiser par l'esprit, par la réflexion élaborée, par la capacité de jugement nourrie par des savoirs, des pratiques, une volonté de toujours s'enrichir, s'élever, par l'étude et la spéculation cérébrale ?
Comment croire que la lecture savante puisse peu à peu sinon disparaître sinon devenir marginale dans la formation des esprits sans que cela ne s'accompagne d'inquiétants effets ?

Alain Finkielkraut constate "la défaite de la pensée", Renaud Camus dénonce la "dictature de la petite bourgeoisie" qui a imposé ses goûts culturels liés au divertissement, Danièle Sallenave rend hommage au travail qui est fait à l'école mais ne voit plus comment à eux seuls les pédagogues peuvent lutter contre les mouvements de fond de la société qui invitent à tout sauf à l'effort intellectuel. (...)

Que l'on cède ou non au charme de la déploration, le fait est là, la scolarisation massive des élèves n'a pas entraîné un mouvement d'adhésion de masse à la culture, contrairement à ce qu'ont pu affirmer jadis les "niveau-montistes".
De toute évidence, l'Education Nationale n'a pas su donner le goût de l'effort intellectuel, de la fréquentation des grandes œuvres.
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