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Critique de maevedefrance


C'est bien connu en Irlande, « WB », autrement dit William Butler Yeats pour les néophytes, est LE poète, le roi, le plus grand, l'éternel poète de l'Irlande parmi les poètes irlandais. Enterré à Drumcliffe, petit village du mythique comté de Sligo blotti au pied du mont Ben Bulben, tous ceux qui l'admirent, les Irlandais comme les touristes, vont lui rendre hommage par centaines chaque année. On connaît la célèbre épitaphe au-dessus de son tombeau (qui a également donné son titre à un livre de Michel Déon, Cavalier, passe ton chemin !). W. B. Yeats est le poète de l'Irlande éternelle, celle des fées, des banshee, du petit peuple caché, de la reine Maeve, des enfants du roi Lir, d'Innisfree. C'est aussi l'homme farouchement attaché à l'indépendance de l'Irlande, celui qui deviendra sénateur pour défendre la cause. C'est aussi le fondateur de l'Abbey Theatre. Voilà, Yeats, c'est l'Irlande. Il résume à lui seul, son histoire, son folklore, sa mythologie, la formidable création artistique engagée qui a accompagné la lutte pour l'indépendance.

Mais W. B. Yeats, c'est aussi un amoureux non aimé en retour. Une blessure profonde qui finalement va être le terreau de sa fertilité créative et de la beauté de ses textes. La belle Maud Gonne se bat pour la cause irlandaise. Il sera à ses côtés. Toujours. de façon un peu dingue.

Pourtant qui aurait douté du contenu de son tombeau ? Maylis Besserie se plonge dans une drôle d'histoire véridique. WB est mort en 1939 à Roquebrune-Cap-Martin, dans le sud de la France. Il avait demandé à sa femme de l'enterrer en France puis que sa dépouille soit déposée en Irlande, au pied du mont Ben Bulben, dans le comté qu'il chérissait tant. Mais la guerre a contrarié un peu les projets et c'est seulement en 1948 que Yeats est rendu à l'Irlande, dans un incroyable imbroglio diplomatique découvert plus tard. le scandale éclate en 2015 quand Daniel Paris, fils de diplomate, petit-fils de Paul Claudel (!) découvre le pot aux roses. le corps du poète aurait fini dans la fosse commune et ce sont les restes éparpillés de plusieurs personnes qui auraient fait le voyage en Irlande dans le tombeau de Yeats. A ce moment-là, Madeleine, jeune femme de Roquebrune vient d'enterrer une voisine, ce qui la renvoie à une autre personne chère à son coeur, sa propre grand-mère. Dans une demi-somnolence, elle la voit s'extirper de son cercueil et virevolter. Jeanne, la survivante à la malédiction. « Les proches sont tombés comme des mouches, à la fleur de l'âge, comme s'ils n'étaient pas faits pour durer dans ce monde. La mère de Madeleine n'a pas échappé à la malédiction, elle les a quittés peu après sa naissance, rejoignant des oncles, des tantes, des jeunes du caveau.(….) Seule sa grand-mère, l'invincible Jeanne, a tenu bon. » Pourtant Jeanne a un secret. Madeleine, est à la fois intriguée par le mystère qu'elle vient d'entendre et en colère. Comment a-t-on pu manquer autant de respect aux familles et aux morts? Elle ne connaît rien à l'Irlande, ni à Yeats. Avec d'autres habitants, elle fonde l'association Les Dispersés pour enquêter sur cette affaire. Ce qu'elle ignore, c'est qu'elle va être en quelque sorte le medium entre les monde des morts et celui des vivants. Au moment même où dans le cimetière de Saint-Pancrace naissent Les Dispersés, « un oiseau, sans doute un faucon pèlerin, fait tournoyer ses ailes mouchetées dans l'air chargé de particules fines. Il survole le mur et se pose sur une stèle érigée en souvenir du passage du poète dans le cimetière. Ses serres recouvrent une licorne ailée, saisie au beau milieu de sa foulée aérienne, sous laquelle on lit : William Butler Yeats 1886-1939. Il la frappe de son bec comme pour interrompre la course folle de la créature dans les airs et pique la pierre jusqu'à la lézarder.

Ce roman abolit la frontière entre la vie et la mort, entre le réel et le merveilleux, comme adorait le faire W. B. Yeats, adepte des sciences occultes. Maylis Besserie emporte avec beaucoup de talent le lecteur à travers un incroyable voyage entre la France et l'Irlande. L'Irlande envoûtante. Celle qui vous fait déclamer des vers au coin d'un verre de stout. Elle donne la parole à Yeats, incroyablement ressuscité sous nos yeux. On l'entend se raconter à travers des lignes d'une beauté poétique remarquable. La notion de temps est abolie, comme souvent en Irlande où le présent et le passé ne font qu'un.

« J'ai senti le parfum de son Irlande emporter mon âme au-delà de l'horizon, au-delà de la mer, la verser dans les lacs et les rivières du Sidh, au bord des îles merveilleuses battues par des vents désolés. J'étais apprenti poète, caché par le père, caché par le peintre, John, dont les toiles azur couvertes de satyres se couchaient sur mes rêves juvéniles. Quand l'auguste silhouette de six pieds de haut, la souveraine soufflée de boucles bronze, a frappé, j'ai ouvert.
Elle est entrée comme une ombre. Elle a glissé et s'est fichée dans mon oeil, entre mes paupières que la poussière a refermées. Comme l'eau dans le bois. Maud s'est insinuée,élixir divin : une goutte pour chacune de mes pensées. Lionne majestueuse, elle s'est enfoncée dans la maison, le visage fendu par la lumière froide de Londres. »

J'ai adoré suivre la petite troupe de Français des Dispersés qui mettent pour la première fois les pieds en Irlande, à Sligo et Dublin. Je les regardais faire d'un air amusé (genre : mais nan les gars, prenez le bus pour aller à Drumcliffe, pas le taxi ! 🙂 )Touchés par « la cocaÏne des tourbières » pour reprendre l'expression de Hervé Jaouen, ils font un voyage qu'ils n'auraient jamais imaginé et qu'ils n'oublieront jamais. J'ai adoré revivre l'Histoire de l'Irlande à travers Yeats, dont l'esprit est parfaitement restitué.

Mon coeur va à ce livre, qui m'a tenue éveillée tard la nuit, bercée par cette prose merveilleuse. Une histoire extrêmement bien écrite, une écriture très travaillée qui ne laisse rien au hasard. Maylis Besserie, à l'instar de W. B. Yeats, invite à jeter un autre regard sur la mort.

C'est le deuxième volume d'une trilogie irlandaise, si j'ai bien compris, dont le premier volume (chroniqué ici même), le tiers temps, est dédié à Samuel Beckett (Goncourt du Premier Roman). C'est l'un de mes coups de coeur 2021. le troisième volume sera consacré à Bacon.

Je vous invite très chaudement à lire ce roman qui donne envie de (re)plonger dans la poésie de Yeats mais aussi de découvrir ses contes (récemment traduits en français) .
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