Les mères n'oublient jamais quand elles ont cru, un jour, perdre leur enfant.
Elles ne se débarrassent jamais de la frayeur non plus.
"Tu le savais qu'il allait quitter le nid, ça fait des semaines que tu m'en parles."
Anne -Marie ne peut qu'acquiescer :" oui, bien sûr, mais…mais c'est pas pareil quand ça arrive. Tu as beau t'être préparée, quand c'est là, c'est autre chose."
Et le silence, est-ce que ça ne dit pas davantage ?
Il y a ça, d'un coup, dans un été qui s'en va, dans une rue déserte, sur un trottoir balayé par le vent, une mère et son fils, arrimés l'un à l'autre.
...Elle n'a jamais nourri de regrets. A quoi ça aurait servi de regretter quand on n'a pas eu le choix ?
Non, franchement, elle est reconnaissante à la vie, il y a tellement de gens qui s'en sortent beaucoup plus mal, qui ne s'en sortent pas du tout.
(...) c'est la dernière fois qu'il apparaît ainsi, c'est le dernier matin.
Et immanquablement, elle est envoyée à tous les matins qui ont précédé, ceux des balbutiements et ceux de l'affirmation, les matins d'école et les matins de grasse matinée, les matins d'hiver dans la lumière électrique et les matins d'été comme celui-ci, les matins malades et les matins en vacances, les pacifiques et ceux du mauvais pied, combien y en a t-il eus, il serait facile d'établir le compte exact, mais elle redoute que le compte exact ne lui donne le vertige, tous ces matins qu'il pleuve ou qu'il vente, elle était présente et c'est fini, ça s'arrête ici, ça s'arrête maintenant. Elle sourit et il fait semblant de ne pas discerner la tristesse dans son sourire. (p. 26)
"Et l'on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid"
Léo Ferré, "Avec le temps"
Les mères n'oublient jamais quand elles ont cru, un jour, perdre leur enfant. Elles ne se débarrassent jamais de la frayeur non plus.
Elles vivent chaque jour en redoutant qu'un accident survienne.
"La maison, c'est la maison de famille, c'est pour y mettre les enfants et les hommes, pour les retenir dans un endroit fait pour eux, pour y contenir leur égarement, les distraire de cette humeur d'aventure, de fuite qui est la leur depuis les commencements des âges."
Marguerite Duras, "La vie matérielle"
Elle dit : « C’est passé vite quand on y pense. »
Elle parle de la vie. Elle parle de sa vie.