Il y a des degrés dans la souffrance mais pas de concurrence entre les souffrances.
On ne renonce jamais vraiment, on a besoin de croire que tout n'est pas perdu, on se rattache à un fil, même le plu ténu, même le plus fragile. On se répète que l'autre va finir par revenir. On l'attend. On se déteste d'attendre mais c'est moins pénible que l'abandon, que la résignation totale. Voilà: on attend quelqu'un qui ne reviendra probablement pas.
Simplement, elle a voulu quitter la France, le territoire de son quotidien. Et on lui a assuré que, si on ne craignait pas d'approcher la mort, Lisbonne était la ville indiquée.
Une chose terrible l'espoir. Vrai ça maintient en vie . Mais ça ronge aussi, ça entame , c'est corrosif l'espoir .
En une fraction de seconde, elle songe aux mondes dont elle est exclue, à ce qui se trame en dehors d'elle, aux coeurs qui palpitent quand le sien a dangereusement ralenti sa course, à la vie qui continue tandis qu'elle s'est assise au bord de la route, aux êtres qui se cherchent et se trouvent, alors qu'elle est amputée du seul qui a compté dans son existence. Et cela lui fait mal.
A la fin, on est dans la douleur des séparations. C'est une malédiction universelle.
Aussitôt, elle tente de dire que chacun reçoit son lot de calamités, qu'elle ne se sent pas une suprématie dans le malheur, elle sait que la peine est la chose la mieux partagée du monde.
C'est curieux comme on compte sur les exils pour régler nos névroses et comme on doit convenir rapidement qu'ils ne règlent rien. Au mieux, ils apaisent des névralgies.
On ne trahit les disparus. Ce sont eux qui nous trahissent. Parce qu’ils ont fait défaut, parce qu’ils sont partis, alors qu’on avait besoin d’eux, parce qu’ils ont filé sans préavis, parce qu’ils nous laissent avec le manque et aucune solution pour y remédier. Et quand ils ont lâché notre main, qui nous en voudrait d’en saisir une autre ?
Il a à l'esprit des images de chaos, de brancards, ceux de la survie. Et c'est étrange, le raffinement de l'endroit opposé à la tempête qui sévit sous son crâne, les gestes lents et appliqués des serveurs en contrepoint des mouvements affolés des sauveteurs qu'il imagine.