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Citations sur Perspective(s) (114)

Après tout, il n’y a qu’une seule chose noble ici-bas, et c’est le dessin. L’homme, lui, n’est qu’une tache qui pâlit sur un mur.
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En revanche, je me suis dispensé de notes de bas de page, qui ont l'avantage de mettre en valeur l'érudition de celui qui les rédige mais l'inconvénient de ramener le lecteur au présent de sa chambre. Or, et c'est là tout ce que vous devez savoir : l'histoire se déroule à Florence , au temps de la onzième et dernière guerre d'Italie.
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Mais ce n’est pas tout : je vis des lignes se dessiner dans l’espace, formant une grille parfaitement géométrique, et je reconnus le schéma d’Alberti, sa pyramide de rayons convergeant en un point unique. C’étaient les lois de la perspective qui prenaient corps devant moi, aussi nettes que si je les avais moi-même tracées à la règle ; je touchais la surface des choses, car ce n’était plus le monde réel que je voyais dans sa profondeur, ou plutôt si ! mais je voyais comme à travers la caméra obscur de Messire Brunelleschi – que son nom soit honoré jusqu’à la fin des temps ! – et ainsi, l’espace d’une seconde, le monde m’apparut comme une surface plane, savamment quadrillée, dans toute la clarté éblouissante de la théorie qui nous fut révélée par ces génies suprêmes : Brunelleschi, Alberti, Masaccio, gloire à vous qui êtes l’honneur de la Toscane éternelle !
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Quant à toi, tu as choisi ton camp, celui des grands, dont tu ne feras jamais partie. À défaut de clairvoyance, tu auras eu le courage de la traîtrise. Sans rancune, mon ami, je prie Dieu qu'il te protège et te donne la santé. Garde-toi bien, n'oublie pas de te retourner souvent dans la rue, ne t'approche pas trop des bords de l’Arno, et quand tu iras à la taverne, assure-toi qu'on ne verse pas quelque poison dans ton verre. Tu salueras tes nouveaux amis de ma part. Sois le chien de compagnie de ces gens, Battista, puisque telle est ton ambition. Je te souhaite qu'ils te jettent beaucoup d'os. Mais prends garde, et retiens bien ceci : la mort de Pontormo a montré qu'ils sont des loups entre eux. Es-tu vraiment sûr de vouloir t'asseoir à leur table ? Laisse-moi te donner un dernier conseil : reste un chien, et n'essaie pas de te faire loup. Personne ne devrait porter un costume pour lequel il n'est pas taillé.
De Marco Moro à Giambattista Naldini
(p. 170)
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Florence, 15 février 1557
C’est un travail bien singulier qui m’a été assigné par l’insondable Providence, en me faisant d’un grand chagrin un grand honneur, en m’enlevant Jacopo d’abord, puis en me chargeant d’achever son œuvre. Dieu veuille que j’en sois digne, mais s’il s’avérait que je n’étais pas à la hauteur de la tâche, ce ne serait certes pas par manque de cœur, ni d’abnégation.
Je n’apprendrai pas au divin Michel-Ange ce que c’est que de se dévouer corps et âme à son art. Cependant, je veux vous faire part d’un sentiment que vous avez oublié peut-être, car jamais, sans doute, depuis l’époque où vous étiez jeune apprenti chez Ghirlandaio, votre génie ne s’est mis au service de celui d’un autre. Or, vous ne croiriez pas l’état tout à la fois d’exaltation et d’angoisse dans lequel me plonge le chantier de San Lorenzo. Lourde est la charge qui m’incombe de finir les fresques de Jacopo. Mais aussi, quelle joie cela me procure de marcher dans ses traces ! Jour après jour, je me pénètre du spectacle de ces murs, son Déluge, son Christ, son Moïse, ses noyés, son bestiaire, je vis au milieu des lions, des girafes et des moutons, je tremble devant la colère de Dieu, je m’enivre avec Noé, je meurs avec les morts, je ressuscite avec les élus, je monte dans l’Arche puis je monte au Ciel avec les âmes, et tandis que je m’épuise à chercher toujours le ton juste, mes mains saignent comme celles d’Adam et Ève courbés par le labeur… Suis-je au Ciel ou en Enfer ? Je ne saurais le dire. Je suis comme Eurydice qui marche derrière Orphée, je place mes pas dans ceux de Jacopo, je le suis comme son ombre, et cependant je reste à la merci de son génie.
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Le spectateur aussi doit mériter son tableau. J'étais un sot, et si je le suis encore certainement, au moins incliné-je aujourd'hui à rendre justice à qui de droit : Florence, au mitan du XVIème siècle, était un creuset dans lequel bouillonnaient les passions tout autant qu'un terreau où fleurissaient les génies - et ceci, bien entendu, explique cela. La manière voila tout !
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Brunelleschi découvrant les lois de la perspective, c'est Prométhée volant le feu Dieu pour le donner aux hommes. Grâce à lui, nous avons pu, non pas seulement enluminer des murs comme jadis Giotto avec ses doigts d'or, mais reproduire le monde tel qu'il est, à l'identique. Et c'est ainsi que le peintre a pu se croire l'égal de Dieu : désormais, nous pouvions, nous aussi, créer le réel.
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C'est la perspective qui permet de voir l'infini, de le comprendre, de le sentir. La profondeur sur un plan coupant perpendiculairement l'axe du cône visuel, c'est l'infini qu'on peut toucher du doigt. La perspective, c'est l'infini à la portée de tout ce qui a des yeux. La perception sensible ne connaissait et ne pouvait connaître la notion d'infini, croyait-on. Eh bien, grâce aux peintres qui maîtrisent les effets d'optique, ce prodige a été rendu possible : on peut voir au-delà. Permettre à l'œil de transpercer les murs. Cette voûte en demi-cintre à Santa Maria Novella, tracée en perspective, divisée en caissons ornés de rosaces, qui vont en diminuant, en sorte qu'on dirait que la voûte s'enfonce dans le mur : trompe-l'œil, illusion sans doute, mais quelle merveille !
(p.244-245)
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Messire Strozzi m’a un peu expliqué votre affaire : il s’agit donc d’aller dérober un tableau au coeur même de la Seigneurie, dans la propre garde-robe du Duc, là où celui-ci passe plusieurs heures par jour, au milieu d’une foule de gens et de gardes, puis de sortir le tableau du Palais et de lui faire franchir en secret les portes de Florence pour l’expédier à Venise ? C’est parfait.
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Après tout, il ne sera pas dit que je ne sais pas me repentir.

J'avais des vues très arrêtées sur Florence et les Florentins : gens raisonnables, bien élevés et bien polis, aimables même, mais dénués de passions, inaptes au tragique et à la folie. Parlez-moi de Bologne, de Rome ou de Naples ! Pourquoi donc (pensais-je) Michel-Ange avait-il fui sa patrie pour ne jamais y revenir ? Rome, qu'il a pourtant vilipendée toute sa vie, était l'écrin qu'il lui fallait. Et les autres ? Dante, Pétrarque, Vinci, Galilée ! Des fuyards et des exilés. Florence produisait des génies, puis les chassait, ou ne savait comment les retenir, et voilà pourquoi elle avait cessé de briller depuis son glorieux Moyen Age. Je voulais revivre au temps des guelfes et des gibelins, mais guère au-delà car je pensais que, passé, mettons, 1492 et la mort du Magnifique, tout s'était éteint là-bas. Le moine Savonarole n'avait pas seulement tué la beauté en intimant à Botticelli de brûler ses toiles. Il avait épuisé le goût de l'idéal en réduisant l'idéalisme à son Fanatisme borné,

Après le départ de Léonard et celui de Michel-Ange, que restait-il ? Ou plutôt qui ? Je faisais peu de cas des Pontormo, des Salviati, des Cigoli, et Bronzino me semblait trop sec et trop froid, avec ses teints de porcelaine et sa manière dure. Aucun de ces maniéristes, selon moi, ne pouvait souffrir la comparaison avec n'importe qui de l'école de Bologne, et je me moquais de Vasari qui nous avait si bien vendu ses peintres florentins. Quant à moi, j'idolâtrais Guido Reni, dont j'estimais qu'il avait porté la beauté au point le plus élevé parmi les hommes. Je pouvais rendre aux Florentins qu'ils savaient dessiner, mais je leur reprochais leur manque d'expression. Tout était trop sage, trop lisse. Au fond, je leur préférais de loin n'importe quel Hollandais !

Eh bien, j'avais tort, je le confesse, et il fallut les circonstances que je m'en vais vous conter maintenant pour tirer de mon aveuglement. Car voir, c'est penser. 

(INCIPIT)
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