Citations sur L'épuisement (210)
Mais le charme vient aussi des livres.Très près de là, la librairie où vous recevez les livres commandés.Ils viennent de Paris, vous les emmenez dans vos bras le long de ce boulevard, heureux de cette compagnie, comblé avant même toute lecture.
Vous achètez beaucoup de livres.Vous ne les finissez pas tous.C'est une infirmité chez vous, une maladie chronique, celle de ne pas finir une lecture, une conversation, un amour.
Ce n'est pas nécessairement l'effet d'une négligence ou d'un ennui.Ce n'est que parfois, pour une lecture, pour un entretien ou un amour, la fin arrive avant la fin.Et c'est quoi, la fin d'un livre.C'est quand vous avez trouvé la nourriture qu'il vous fallait, à ce jour, à cette heure, à cette page.
( p.42)
Laideur de l'industrie, laideur du raisonnable et de l'utile.Aux deux extrémités du boulevard, l'usine du Creusot.Elle est ici partout chez elle.(...)
Entre les deux extrémités du boulevard, des commerces abstraits: banques mutuelles, pompes funèbres, mairie.Argent, cadavre, État.Et puis des platanes.C'est peut-être d'eux que vient le charme de ce boulevard Peut-être aussi des écoles proches.Les cris des enfants à midi et la belle écorce blanche grise des platanes suffisent à sauver ce lieu de son ennui, de l'ennui de son utilité.
( p.41)
Le petit banc de Gertrud, la fenêtre enluminée de " Mon oncle", le jeune homme au triangle, une phrase d'André Dhôtel: la vie souvent m'envoie ce genre de cartes postales, comme si elle m'écrivait de l'étranger pour me rassurer sur son sort, la vie n'est jamais si claire que dans l'attaque de ce poème du grand Nazim Hikmet :
" La vie n'est pas une plaisanterie
Tu la prendras au sérieux,
Comme le fait l'écureuil, par exemple,
Sans rien attendre du dehors et d'au-delà,
Tu n'auras rien d'autre à faire que de vivre"
( p.58)
Lire c'est faire l'épreuve de soi dans la parole d'un autre (...) manger ce qu'on lit, le transformer en soi et se transformer en lui.Toute lecture qui ne bouleverse pas la vie n'est rien, n'a pas eu lieu (...)
( p.96)
(** À propos d' André Dhôtel)
Il y a, certes, des écrivains qui ont un plus beau toucher de phrase que vous, mais la plupart sont si encombrés d'eux-mêmes que leur livre ne sait comment nous parvenir: cérémonieux, pesant, il s'effondre avant de nous atteindre.Vous, vous avancez léger.
( p.56)
Écrire c'est devenir anorexique. Écrire c'est refuser les aliments proposés par le monde et rechercher,dans la maigreur affolante d'une phrase ou dans son développement boulimique, la vraie nourriture, celle qui fera grandir, et cette recherche par elle-même est déjà nourricière.
( p.101)
Il y aurait beaucoup à dire sur le langage en tant que nourriture.(...) mais depuis quelques années on ne nous propose plus que des nourritures douteuses: un langage imbibé de mots d'économie, eux-mêmes contaminés par des mots de guerre.
( p.97)
Je viens de terminer la lecture d'un manuscrit.Il s'appelle " Tu
m'entends ?"
C'est une vraie question.C'est une des questions les plus intéressantes qui soient.J'ai aimé ce livre.J'ai écrit ceci à son propos, je pense que ces lignes, qui accompagneront peut-être le livre de Patrick Renou dans sa publication, peuvent également être ici, doivent être ici, dans la proximité des deux images, celle de l'oiseau, celle de l'enfant. J'aime les écrivains. J'aime les écrivains quand ils sont fous de vérité, pas de littérature,quand ils écrivent pour toucher au réel, pas seulement esthétiquement mais en vérité, dans la vérité qu'ils ont d'eux-mêmes. Voilà : la grande beauté de ce livre lui vient de sa solitude épouvantable. Ce livre est seul de son espèce (...)
- c'est la voie réjouie de l'enfant, simplement la voix qu'il (* Mallarmé) nomme ainsi: " la voix claire d'aucun ennui ".
Je pense souvent à cette phrase minuscule. Je vis avec.Je n'ai jamais trouvé de plus fine définition de la présence, de l'amour et de la beauté.La voix claire d'aucun ennui: la poésie c'est suivre son cœur en allant à la fête.
( p.61)
Pas de maître et pas de règle : la vie suffit, pour vivre.
( p.66)