Mon père a la même tête plate qu'un cobra lové sur lui-même, fou de fureur et qui se balance avant de frapper.
Sur sa trogne rouge une petite moustache de garçon d'abattoirs. Sa bedaine poussante se bat contre le rebord de la table. Dumont est tout graisseux mais trapu et costaud :
Monsieur le consul, clame-t-il dans sa vulgarité rayonnante, vous êtes trop bon. Vous vous laissez embêter par ces macaques de Chinois. Moi je vous dis, il n' y avait qu'un moyen : le coup de pied au cul.
Anne-Marie, pour une femme, vous êtes intelligente, très intelligente, je le reconnais. Mais quand même, avec votre esprit féminin, vous ne pouvez pas saisir la complexité de la situation.
Et puis, de toute façon, je serai tué avant vous. Vous aurez quelques secondes pour me regretter.
Ne vous inquiétez pas lui dit son mari, vous pouvez être tuée mais votre honneur ne risque pas grand chose. Ce que les foules arrivent difficilement à faire, même les mendiants, même les soldats capables de tout, c'est de violer les dames européennes. Les déchiqueter, leur ouvrir le ventre, très volontiers. Mais, pour le reste, le dégoût est trop fort.
"Tout en disant cela avec un visage confit dans le baume de la gravité, les ondes de graisse vibrent sur son crâne obscène comme sur une tête de veau servie chaud et sans persil". Impayable Monsieur Bodard !
Car si l'opium paralyse le corps, s'il supprime les désirs vulgaires, il donne à la pensée l'acuité suprême. La pensée, comme un jeu, comme une guerre, comme une férocité froide, comme la dernière luxure, comme le siège de la puissance. Il n'y a plus de sentiments, plus de bien ni de mal. Rien que l'intelligence, que la capacité des raisonnements qui procurent encore plus le pouvoir et l'argent.
C’est curieux, quand les Anglais s’enrichissent, ils deviennent gentlemen, même si se sont des gentlemen requins. Les Français, nos quelques milliardaires de Shanghai, restent dans la bonne vulgarité.