trente-huit ans. Une figure de vieil homme déjà, et pourtant il n'avait pas encore commencé à vivre.
Les boules roulaient sur le billard, s'entrechoquaient avec un fracas discret.
Il n'entendit pas sortir Lucienne, mais sut, à une certaine qualité du silence, qu'il était seul, et l'angoisse commença.
Il avait mal à la vie, voilà le mot. Il sait maintenant qu'il aura toujours mal. C'est profond. Sans remède.
Dès cette époque il avait voulu être ailleurs, hors du monde des grandes personnes, qui ne prêchent que des vertus arides.
L'univers que son père, le petit professeur du lycée de Brest, regardait de loin, avec des yeux de pauvre.
Quelque chose en lui n'a pas réussi à s'épanouir, et il sursaute toujours quand une porte claque, ou bien quand on l'interpelle à l'improviste. Il craint les questions à bout portant.
Que peut-on faire le dimanche ? C'est un jour mort, tombé en travers de la semaine, empêchant de passer.
Pour lui, la géographie, c'était une liste de villes, l'histoire, une liste de dates, l'homme, une liste de noms d'os et de nerfs.
Est-ce que l'on ment ? ... Non ! C'est bien plus compliqué que cela. On devient brusquement l'homme d'une autre vie, comme un acteur. Seulement l'acteur, une fois retombé le rideau, cesse de se confondre avec ses personnages. Tandis que pour certains... impossible de savoir qui est l'homme, qui est le personnage.