Chambre 128

Madame ou Monsieur,
Je vous renvoie ce paquet avec beaucoup de retard et je vous prie de m'en excuser.
En le découvrant dans la chambre 128, une autre que moi l'aurait immédiatement déposé à l'accueil de l'hôtel Beau Rivage; toutefois, si vous rencontriez mes proches, ils vous diraient à quel point je peux être négligente dans la vie quotidienne. Ne prenez donc pas cet atermoiement comme un signe de mépris pour votre livre. Il n'en est rien. je vais même vous faire un aveu : je l'ai lu.

j'ai un besoin insatiable de silence

Plus notre passage sur Terre est dérisoire et fugitif, plus les décisions que nous prenons deviennent négligeables, presque pardonnables ....

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Ceci est une histoire vraie. Ou presque…
Lorsqu’une tranche de vie se déroule sous nos yeux et que nous en sommes le témoin involontaire, nous n’avons que très peu de pouvoir sur son devenir. Nous observons les protagonistes et nous imaginons leurs sentiments, leurs craintes, leurs espoirs.
Sans doute nous trompons-nous, parfois.
Mais il arrive aussi que l’on se sente proche de la vérité et investi d’une mission : celle de raconter, au jour le jour, les événements que nous épions.
Bien sûr, en agissant de la sorte, nous risquons d’être surpris par l’issue de l’aventure.
Et si la chute nous décevait ?
C’est une possibilité.
Alors, si vous acceptez ce risque, si vous aimez l’incertitude, lisez ces lettres, une à une, en vous soumettant au rythme paisible et hypothétique des distributions de la poste… Seuls les lieux et les noms des personnages ont été modifiés.

« Parfois, je suis surprise de voir que cet homme, avec lequel je partage ma vie depuis vingt-six ans, s’étonne encore de mes décisions et de mon opiniâtreté. Les couples ont-ils toujours, après plus de deux décennies, une méconnaissance totale de l’autre. » p. 148

Vous avez, nous autres Bretons sommes des êtres réservés, aux formes rondes et souples.
Nous ne sommes pas d'un abord difficile car notre survie régionale passe par cette aptitude à accepter l'autre et ses différences.
La Bretagne est une terre d'accueil et ce fait s'est peu à peu inscrit dans nos gènes.
Toutefois, lorsque nous nous sentons trompés, bafoués, nous nous transformons, tous nos angles ressortent, plus tranchants que les rochers d'Ouessant.

On n'avance pas dans la vie sans en conserver des cicatrices.

Les choses qu'on laisse inachevées nous accompagnent toute notre vie comme autant de douleurs chroniques qui résistent aux meilleurs antalgiques.

Admettez qu'il était improbable que ces quelques feuillets traversent toutes ces années au gré du vent et des marées sans que personne les conduise jusqu'au tri sélectif. Non que je considère que votre texte ne mérite pas de vivre, mais nos concitoyens font habituellement preuve d'une certaine négligence avec les biens qui ne leur appartiennent pas...

Face à la démesure de cette nature qui nous survivra encore longtemps, j'ai compris ce qu'elle essayait de me dire : dans cent ans, personne ne se souciera de ma vie ni des chemins que j'aurai pris. Fort de cette certitude, je n'ai plus peur. (p.276)