Métro Paris 2033, tome 1 : Rive gauche

Pourquoi avons-nous perdu notre histoire? Une voix alarmiste me crie que nous sommes en train de nous effacer, victimes d'une malédiction qui nous condamne à l'amnésie.

Incipit

Je suis retourné hier dans la pièce où mon lointain ancêtre a entassé des centaines de livres sauvés de la destruction. Mon père, et son père avant lui, prétendaient qu'en cet endroit étaient conservés les ultimes et précieux vestiges de la civilisation qui nous a précédés. Chacun des ouvrages serrés sur les étagères nous raconte la vie des êtres humains avant la Catastrophe et nous donne un aperçu de ce que nous expérimenterons lorsque le temps sera venu du retour à la surface.

Les hommes ne pourraient vivre sans légendes. C’est plus fort qu’eux, il faut toujours qu’ils mêlent surnaturel, ou le mystère, à leur réalité, et plus leur existence est difficile, plus ils invoquent les dieux et les créatures aux pouvoirs extraordinaires, plus ils s’inventent des ennemis monstrueux.

Ont naît dans la pisse, la merde et la peur, c'est également dans la pisse, la merde et la peur qu'on prend congé. La vie finalement, ma vie n'aura été qu'une parenthèse insignifiante entre deux relâchements organiques.

La tentation du néant grandit en moi chaque instant. Je ne sais pas où j'ai puisé le courage d'écrire ces quelques lignes, mais tracer les lettres sur le papier, entendre le crissement de ma plume trempée dans l'encre de seiche qui me coûte une petite fortune, relire les mots alignés tels des soldats sur leurs lignes de front, me concentrer sur la meilleure façon de piéger ma pensée dans la matière écrite a en partie lavé mon âme de sa boue. Et je me suis promis de me consacrer plus assidûment à l'exercice, le seul qui me procure une satisfaction supérieure à l'alcool, et surtout plus saine.

Trois d'entre elles renfermaient des hommes, deux jeunes et un plus âgé, la quatrième contenait une femme et son enfant, un mutant, à en croire les longs poils raides dressés autour de sa tête, s'élevant aussi bien de son front, de ses joues, de son nez, de son menton, que du sommet ou de l'arrière de son crâne.
« Ils vont nous élever en même temps que c'put de Rive Droite de mutant ! grogna l'homme âgé.
- Bah, on est pas en si mauvaise compagnie, lança l'un des deux jeunes prisonniers en désignant Aube d'un coup de menton. Dommage qu'on fasse connaissance dans c't'endroit ! Pourquoi ces rats de servants ont foutu une jolie fille comme toi dans une cage ? »

Aube n'avait pas tout compris des propos de Roy, mais ils ouvraient en elle des perspectives exaltantes. Un nouvel univers se dévoilait par intermittence, qu'elle était avide d'explorer. Les galeries et les stations ténébreuses de son monde familier, les lumières vacillantes des bougies et des lampes à pétrole, les voûtes, les parois, les escaliers, les quais, les habitations plus ou moins étriquées lui paraissaient tout à coup dérisoires en comparaison de la surface, de son immensité, de son extraordinaire luminosité, de sa diversité, de ses splendeurs, de ses mystères.
P 231. L'Atalante

Il n’y a qu’un mot pour comprendre leur comportement: peur. Sous l’emprise de la peur, les foules sont capables de toutes les horreurs.

D'où vient cet obscurantisme qui nous recouvre comme un linceul ? D'une rupture brutale avec un autre monde ou d'un déclin progressif de notre créativité ?

« Dernière demeure du quai 7, avait déclaré Ta Li. La plus grande, la plus luxueuse, la mieux gardée aussi. Tu devras aussi tuer ses chiens, ou ils te pourchasseront où que tu ailles dans Rive Gauche. »