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Citations sur Entretiens d'André du Bouchet avec Alain Veinstein (197.. (9)

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En termes journalistiques, c’est un événement. Cinq livres d’André
du Bouchet paraissent ces temps-ci. Ici en deux, des poèmes, et des
traductions de Hölderlin et de Paul Celan au Mercure de France;
un texte sur le peintre Pierre Tal-Coat, Cendre tirant sur le bleu,
chez Clivages; la reprise enfin, chez Fata Morgana, de poèmes des
années cinquante, Air, suivi de Défets. À ces cinq livres, s’en ajoute
un sixième, cette fois sur André du Bouchet. Sous le titre Autour
d’André du Bouchet, ce sont les Actes d’un colloque qui s’est tenu à
l’École Normale Supérieure il y a trois ans, l’année où il reçut le Prix
national de Poésie. C’est alors que les difficultés commencent pour
l’intervieweur. Souvent retiré dans sa montagne, résolument coupé du
milieu littéraire parisien, André du Bouchet ne se prête pas volontiers
au jeu de l’interview. Les réponses aux questions qu’on serait tenté de
lui poser se trouvent dans ses poèmes, qui, évidemment, se suffisent
à eux-mêmes. Mais comment présenter ce poète aux auditeurs qui
ne le connaitraient pas encore? Faut-il parler à sa place, comme on
le fait parfois? Faire débattre à son sujet quelques spécialistes de la
poésie contemporaine ou se contenter d’écouter la lecture d’une suite
de poèmes? J’ai choisi un compromis entre ces différentes voies. Nous
l’écouterons lire les pages qu’il aura choisies, et, pour commencer, je
diffuserai les moments d’un entretien qu’il m’a accordé récemment.
Face à vos poèmes, André du Bouchet, un lecteur non averti doit-il
passer son chemin ?

Ce lecteur non averti, pour moi le vrai lecteur, s’apercevra, à entendre
ce que je dis, qu’il n’y a pas tellement lieu de comprendre, ou de ne réellement touché. Ce que l’on écrit pour soi atteint un soi qui est un
autre. Il y a quelque chose d’extraordinaire qui peut se passer, qui est
hors de la pseudo communication journalière lorsqu’on se précipite, et
moi-même du reste, sur un journal qui est oublié le lendemain et que
l’on ne relit jamais. Il y a dans la poésie une forme de communication
qui est intarissable, qu’on peut relire indéfiniment. Les quelques-uns
qui le font sont porteurs de multitudes. Ce n’est pas dénombrable.

C’est une fraîcheur toujours renouvelée?

Une fraîcheur communicative, une fraîcheur de communication. Il
ne s’agit donc pas d’un jeu. Je vous disais tout à l’heure qu’un jeu de
langage, qui est le langage bouclé sur lui-même, est pour moi tout à
fait stérile. La fraîcheur, c’est le langage qui ne se referme pas sur soi.
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7

À la différence des précédents, Peinture est un livre continu, qui
semble vouloir retrouver l’épaisseur du temps.

C’est une ligne continue, mais qui se fractionne, se rompt. Je n’ai pas
recherché la continuité. Ce livre a été écrit jour après jour, sur une
période assez étendue, sans savoir où j’allais. Il y a une cohérence
que je n’ai pas recherchée. La continuité tient parfois à un accident
de langue, à une assonance: c’est quelquefois le timbre d’un mot qui
le marque. Elle tient à la nature physique du rapport avec la langue,
à ce que Mandelstam appelle «la physiologie de la lecture». Pour que
cette continuité soit assurée, il faut quelque chose qui serait de l’ordre
de la rugosité de la langue, une langue avec laquelle est entretenu un
rapport d’éveil, c’est-à-dire de rupture. Et c’est cela renouer: ce nœud
qui se reforme sans cesse. Il ne se reformerait pas si le fil n’était pas
rompu, et une fois qu’il est rompu, il y a quelque chose qui continue
en dessous et qui affleure de nouveau.
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6
En lisant Peinture, je me demandais si la séparation n’y est pas
centrale.

Le centre, c’est le nœud, le nœud qui n’en finit pas de se dénouer. Il y a
là un déplacement qui est le jour. La réitération, la récurrence du jour
marque ce qu’il y a de nouveau, l’innovation dans le temps: mais ce
déplacement nous échappe. Dans la mesure où la conscience cherche
à se saisir de ce qu’on écrit, on ne peut être conscient que d’un point
de fixité: nous changeons, et notre propre changement nous échappe.
On peut dire que si on essaie chaque fois de regagner le même point,
ce point central se sera lui-même déplacé. Une séparation à notre insu
se sera effectuée, et c’est ce qui donne, quand ce déplacement est saisi
de façon globale (et le global, c’est un livre ou un tableau), la lumière.
Le jour, c’est le déplacement opéré à notre insu, car, en écrivant, on
ne cherche pas à écrire quelque chose de nouveau, de différent de ce qu’on a écrit: c’est toujours la même chose qu’on essaie de préciser, de
serrer de plus en plus près. C’est là qu’il est possible de parler de nœud,
mais, en vérité, ce nœud, comme le remous dans le courant, c’est le
dénouement perpétuel : c’est cela le jour, c’est aussi la séparation de soi.
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Peinture et page sont toutes deux, comme vous l’écrivez, « nœud
dans le vif».

Le nœud est l’image d’un remous dans l’eau. On voit parfois dans un
ruisseau ou une rivière quelque chose qui est comme un nœud parce
que cela ne bouge pas. Pourtant, ce nœud se déplace insensiblement.
Loin d’être fixe, il est au fond la permanence d’un dénouement, un
dénouement qui n’a de cesse. On le voit comme dénouement plutôt
que comme remuement, et il marque cette fixité quelquefois d’un
remous dans l’eau lorsque le courant est très vif: il marque justement
la vivacité du courant.
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Vous laissez entendre que la peinture serait une langue qui précéderait
la parole.

La langue nous précède… Dans le rapport que nous avons avec
la langue, nous venons au monde, mais la langue dont nous nous
servons a existé bien avant nous. Il y a donc toujours un sentiment
d’antériorité par rapport à la langue, et nous usons de cette antériorité
pour localiser momentanément une sensation initiale qui est sans
précédent. Ce sentiment d’appartenance au monde, chaque fois que
nous l’éprouvons, il est sans précédent et nous le formulons par cette
langue dont la longue généalogie nous précède. Mais pour en revenir
à la peinture, elle a aussi dans ce livre une valeur métaphorique en ce
sens que si tout est peinture, moi qui ne peins pas au sens technique
du mot, qui suis incapable de tenir un pinceau, écrivant ces pages,
plaçant un mot dans la page, je l’éprouve en tant que peintre, je me dis
peintre… Ainsi, vers la fin du livre, parmi les quelques rares passages
qui semblent avoir explicitement trait à des peintures, il y a un souvenir
revécu d’une promenade à Aix, il y a quelques années, où j’avais vu
des tableaux de Cézanne. Après les avoir vus, les fenêtres du musée
Granet ne donnant pas sur une lumière intéressante, je suis parti à pied
vers la Sainte-Victoire. Et ce que je voyais, le sol que je foulais, les
accidents de lumière sur la Sainte-Victoire, les modifications de cette
montagne dans le jour, me donnaient bel et bien le sentiment d’être
dans la peinture que les tableaux de Cézanne, vus quelques heures plus
tôt, m’avaient ouverte. Je faisais retour à la source de cette peinture, et j’étais de nouveau dans le monde muet, antérieur aux peintures, dans
la peinture antérieure aux peintures: il s’agissait pour moi de formuler
dans ma langue, qui est celle des mots et non pas celle des touches,
mais des mots envisagés en tant que touches. Il me fallait, moi aussi,
être peintre.
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3
Partons du titre que vous avez donné à ce nouveau livre, André du
Bouchet, Peinture. Titre (au) singulier.

Il se peut que la dimension métaphorique de ce mot soit rendue
sensible par le fait que très peu de peintres ou de peintures sont
mentionnés dans ce livre. Il m’arrive même de dire plusieurs fois
que la peinture n’a jamais existé. Proposition insoutenable, difficile à
débattre, qui signifie que tout est peinture… Nous sommes à chaque
moment de notre existence engagés dans un monde de représentations
sur lesquelles nous nous appuyons, comme dans le langage nous
nous appuyons sur les mots, mais il s’agit de représentations qui
ne sont pas l’objet de notre vie, le but que nous nous donnons: la
représentation est sans cesse à traverser. Et dans mon rapport avec
les peintures, je me suis souvent aperçu que, quand une peinture me
touche, je ne m’y attarde pas; elle est l’amorce d’une accélération de
temps qui m’incite à tourner très rapidement le dos à la peinture et
à m’engager dans la lumière de l’espace qu’elle m’a ouvert. Au fond,
quand je me suis risqué, sans très bien comprendre ce que je disais,
à avancer que la peinture n’a jamais existé, je voulais dire que la
peinture n’a pas de place circonscrite dans mon existence en tant que
catégorie close, cadrée: en tant qu’objet d’art… Tout est peinture…
Le rapport que l’on peut avoir avec le monde est peinture, dans le
sens d’une apparition, d’une représentation et de l’annulation de cette
représentation que l’on traverse pour être. Mais ce point d’être, de
présence, on ne le soutient que par intermittence: il est trop fort pour
être soutenu continûment… Il ne faut pas que les peintures – ou la
peinture – se substituent à ce rapport d’existence. Et c’est là, je pense,
e contresens de l’art, de la poésie ou du livre. On prend un livre, on
regarde un tableau pour atténuer notre rapport au monde, à l’être, à
la présence; c’est une sorte d’écran protecteur second destiné à nous
rassurer. Or il ne s’agit pas d’atténuer, mais d’aviver, donc de traverser
la peinture, la page… Il s’agit, par le mot, d’être en rapport un instant
avec ce qui est en dehors du mot ou, dans la peinture, avec quelque
chose qui n’est pas de l’ordre du tableau.
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2/ Qu’est-ce qui permet l’échange : une mémoire commune ou la redécouverte d’une relation perdue ?

C’est la redécouverte d’une relation qui, au fond, n’est jamais perdue, mais enfouie, obnubilée. Elle n’en est pas moins vivante, en particulier dans la langue : je sais bien qu’aujourd’hui une sorte de bande dessinée tend à se substituer à la langue, mais quand on y fait retour, le mouvement de retour à la langue est un mouvement de retour à soi. On revient aussi aux racines, aux origines de la langue, on touche à une fraîcheur d’étymologie, ce qui nous ramène à votre première question. C’est par là, je crois, que quelque chose s’est réveillé chez un interlocuteur virtuel, et que vous vous trouvez tout à coup, souvent de façon surprenante, dans un rapport que tout, dans l’époque, travaille à annuler. Cet « interlocuteur », cependant, peut surgir à tout instant : il est représenté d’ailleurs, dès que je m’exprime, par la langue, puisque cette langue, par définition, est « partagée », même si je ne sais pas au juste avec qui je la partage. C’est pour cela que dans ce mouvement de relation à réamorcer, si je parviens à me rejoindre, du même coup, je rejoins un autre à l’infini.

Le poète travaille donc toujours un manque, et un manque toujours à dire ?

Oui, mais dans son manque à dire, il rejoint quelquefois ce point de source qui est aussi début d’une langue. Et quand on touche à ce point initial, il est difficile de différencier le plein du vide, le manque à dire de la plénitude absolue. C’est d’ailleurs le temps de la conversation : on est toujours prêt à dire quelque chose, on est content d’être ensemble et il y a toujours quelque chose à dire.

Du plus ancien au plus récent, vos livres sont presque toujours écrits avec les mêmes mots : quelques mots sans cesse répétés et sans cesse différents. Ils relèvent de l’élémentaire, tournent autour de la terre, de l’air, de l’eau et du feu, et coexistent avec une syntaxe très travaillée.

Que nous disposions de dix ou de quatre mille mots, leur nombre est toujours limité, mais ce qui change, c’est la syntaxe, c’est le rapport avec le temps, et du même coup, le même mot n’est plus le même, parce qu’il n’est que le support d’un sens qui, lui, évolue, se transforme. Le sens d’un mot est toujours au futur, mobile, mouvant à l’infini.

Tout se passe dans les écarts…

En tournant une page, on recouvre celle qui l’a précédée et on repart chaque fois de zéro. Mais à travers ce « nul », quelque chose est maintenu et se poursuit. Sur cet élément de persistance, je n’ai aucune saisie : j’ai bien une saisie sur l’instant, mais un instant n’est pas étranger à celui qui l’a précédé et à celui qui suivra, et je ne suis pas maître de cette durée. Dans ce sens, je ne suis pas plus maître de la construction d’un livre que je ne suis maître du temps.
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À quoi cela a-t-il tenu que vous écriviez ?

J’ai toujours écrit, pris des notes sans finalité sur des carnets que j’avais sur moi. C’était une sorte de journal auquel je ne me reportais pas nécessairement : beaucoup de ces carnets ont été perdus. Parfois, quelque chose se précipitait ou se cristallisait et devenait matériau premier d’un poème.

Le français est votre langue maternelle, mais pas, je crois, une langue originelle.

Nous vivons à une époque où ce qui est originel est très brouillé, où la langue elle-même est attaquée : une époque de dislocation de la langue. Or, la langue ne relève pas de notre choix personnel, c’est notre point de départ, le matériau dont nous disposons, et il y a un mouvement qu’il s’agit de renverser : ne pas aller dans le fil de ce qui se détruit à chaque instant sous nos yeux, mais, tenant compte de ce qui est détruit, tâcher dans l’instant de renverser le mouvement et d’édifier quelque chose. Mais édifier n’est pas exactement le mot qui convient, parce qu’encore une fois, je ne vois pas la finalité de ce que je fais. J’aurais peine à justifier de mon activité d’écrivain.

Mais vers qui, vers quoi, est tournée la poésie ?

Il me semble qu’elle est d’abord tournée vers soi. Mais si vous arrivez à vous rejoindre – et tout, dans cette époque, vous en empêche : on ne vous parle qu’en termes de collectif, de sondages, d’homme-maquette – si, donc, vous arrivez à vous rejoindre à travers cette dépossession qui est une donnée de départ, vous pouvez du même coup rejoindre quelqu’un d’autre à l’infini. Il y a quelqu’un d’autre qui se reconnaît dans ce que vous avez écrit, et un échange redevient possible. Cet échange qui, à mon sens, est complètement détruit aujourd’hui par le grésillement des médias qui nous tient lieu de communication en confirmant chacun de nous dans une situation de solitude.
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Chez ce poète qu’on a souvent considéré comme obscur, hermétique, je n’ai jamais vu que de la clarté, « la clarté poussée à son extrême », comme il le disait du Coup de dés. Une clarté qui m’a toujours paru illuminer dans un même mouvement sa relation aux mots et aux autres, comme à toutes choses de ce monde.
(…)
Toute son œuvre invite à s’interroger sur le sens des mots et leur valeur d’échange pour ceux d’entre nous qui nous soucions encore d’avoir quelque chose à partager. Le poète est confiant en une parole individuelle qui ne serait qu’un moyen d’accéder à une langue commune dès lors que chacun prend sur soi ce qu’il lit. Et pour cela, nul besoin des bavardages flamboyants de la prose : quelques mots suffisent, toujours les mêmes, et sans cesse repris, comme s’ils étaient tracés pour la première fois. Le mouvement de l’écriture fait feu de l’infini et, tout à la fois, de l’inachevé. Il suffit au fond d’une image, d’un espace, de livre en livre resserré, d’un dehors de montagne battu par la lumière, pris dans des blancs qui n’ont pas toujours été admis par les lecteurs, alors qu’ils les invitent à donner une voix à ce qui reste silencieux. Loin d’être hermétique, incommunicable, abrupte, comme on l’a si souvent répété, la poésie d’André du Bouchet, dans la violence de son dénouement, autrement plus convaincante que la violence de l’excès, tente de restaurer une relation grâce à laquelle nous avons le sentiment, alors que tout fait défaut, que tout soudain nous est donné et que nous vivons plus pleinement encore. Elle est mouvement d’un retour vers soi.
(…)
Le mot relation me paraît central s’agissant d’André du Bouchet. Relation à la langue, qui est celle d’un ordre face au démesuré. Quelques mots pris dans la banalité même, collant de près à la réalité telle que l’appréhende tout un chacun, mais des mots détournés au point de n’être plus reconnus par ceux qui les emploient couramment. Il opposait la relation à la communication qui envahit aujourd’hui complaisamment les discours sans jamais vraiment passer à l’acte.

Alain Veinstein
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