« Une glose obscurcit ou éclaire. » (p. 207.)
C'est ainsi qu'
André du Bouchet conclut son opus de poèmes intitulé « Ou le soleil » (1968), qui fait suite, dans cet ouvrage, à l'opus « Dans la chaleur vacante » (1961). A t-il-voulu, à travers ces mots conclusifs, délivrer à son lecteur une clé pour l'aider à donner sens, à rebours, aux mots qu'il s'est efforcé de poser, de disposer à travers une configuration spatiale soigneusement étudiée ? Il est vrai que, de prime abord, ces mots peuvent étonner, surprendre, dérouter un lecteur béotien par leur ésotérisme.
Il semble être question d'une marche qu'entreprend le poète. Il semble être accompagné (par une femme ? sa femme ?) et se plaît à dire que cette route ne se déploie pas sur un chemin. Il est question de lumière, de soleil, de chaleur, de feu, de jour, mais aussi de nuit. de nouveau résonne, dans l'esprit du lecteur, le point de capiton habilement posé par le poète dans sa phrase conclusive. La route sur laquelle le poète nous invite à cheminer est jalonnée d'étapes : ainsi,
André du Bouchet a pris soin de penser le déploiement spatial de ses mots : chaque recueil, titré, est bien structuré, découpé en différentes parties, portées, là aussi, par des titres aux résonances énigmatiques. Ces derniers, d'ailleurs, se font l'écho d'une exigence de forme, d'une découpe, tels : « Fraction », « Nivellement » ou « La lumière de la lame ».
André du Bouchet se plaît à mettre en tension les éléments de divers paradoxes, le plus saillant figurant dans la dialectique entre « la lumière » et « l'ombre » que souligne le point de capiton final. le poète emporte donc son lecteur sur un chemin que les pas ne portent pas, un itinéraire balisé, jalonné par des mots que le sens semble avoir déserté. Nous invite-t-il à une errance, mieux encore à ce qu'on pourrait nommer une forme d'« itinérance » ? Mais le (un) sens importe-t-il, au final ?
L'ésotérisme du propos m'a d'emblée séduite. J'ai été touchée par la disposition spatiale des mots dans chaque page, les retours à la ligne incongrus, par les champs lexicaux récurrents : la chaleur / le froid, le soleil, le feu, le jour, la nuit, la montagne, les murs, les pierres, la faux, la route, le chemin, le glacier, …
La meule de l'autre été scintille. Comme la face de la terre qu'on ne voit pas.
Je reprends ce chemin qui commence avant moi. (p. 87. « Face de la chaleur – Battant »)
Voilà des mots qui semblent davantage résonner sous l'angle de signifiants. C'est apparemment ce que le poète souhaitait, ainsi qu'il le souligne dans « Image parvenue à son terme inquiet » (1984), au détour d'une superbe phrase qui parvient à dire, de manière poétique, le rapport arbitraire qui unit le signifiant au signifié :
Ce feu qui, sans même adhérer au terme qui le désigne, ne tient pas en place (qu'on le nomme froid, aussi bien…). (p. 111.)
Même si, à travers ses jeux de mots,
André du Bouchet semble avoir voulu déconnecter signifiants et signifiés, il a su créer, à mes yeux, de belles images suggestives. La petite phrase qui suit dit bien, pour moi, combien la projection dans un avenir, qui n'est que conjecture au moment où elle se déploie, peut être porteuse d'inquiétude :
Demain – déjà, comme un noeud dans le jour. (p. 123.)
Une lecture exigeante, âpre, à l'image de l'écriture du poète, qui m'a d'emblée séduite et touchée.
« Une glose obscurcit ou éclaire. » (p. 207.)
souligne
André du Bouchet au terme de son oeuvre.
Le présent commentaire est lui aussi tissé de mots qui s'efforcent de dire un sentiment de lecture, de lecteur. de quel côté, ombre ou lumière, se situera mon propos pour le lecteur potentiel de cette oeuvre ? Je fais le pari que cette question est par trop manichéenne…