On entame la lecture de du Bouchet comme on entre en religion. Cela demande un acte de foi et une ascèse à toute épreuve. Pas question d'esthétique - du moins dans le sens traditionnel-, ni de sens du beau à proprement parler.
S'il y a métaphore, c'est seulement celle de l'instant présent, celle de la lecture de la page, de la surface où s'ébattent les caractères, les mots et les interstices, les vides ? les blancs ?, qui les séparent.
S'il y a rime et rythme c'est bien dans ce dialogue entre mots et silence, entre caractères noirs sur papier blanc, dans cette improbable structure de l'espace de l'écrit.
Espace, le mot est lancé. C'est ce que la parole du poète crée: de l'espace. Intangible, immatériel mais présent pour que les signes, la tache, puisqu'il y en a bien une - un mot dans le titre mais aussi bien un signe peint sur la page de garde (de
Tal Coat excusez du peu) - pour que la tache prenne corps et délimite sa présence au sein de l'indifférencié.
C'est une écriture exigeante, comme hachée, qui s'interrompt et se recoupe pour mieux cerner l'indiscernable.
Si on peut rapprocher cette poétique de celle de Mallarmé et de son "coup de dés", c'est évidemment par l'utilisation de la page et du blanc mais aussi dans la quête, par essence jamais aboutie, d'une beauté, une vérité pure où le sens serait distinctement défini, précisément délimité et le langage poétique déviderait ses significations métaphoriques mais dans une présence bien réelle, matérielle, tangible devrait-on dire quoiqu'à peine perceptible, fuyante, disparue avant que d'être.
Une écriture quantique en quelque sorte.
Une poésie à lire et relire à tête reposée en tout cas tandis que moi, après une telle critique, je vais prendre deux aspirines ;-)