Citations sur La Vie d'Arseniev (71)
Le nuage derrière les bouleaux brillait de son éclat blanc, changeant de contours... Pouvait-il ne pas changer ? Le bois clair ruisselait, palpitait, fuyait quelque part avec un balbutiement et un frôlement berceur... Où donc s'en allait-il ? pourquoi ? pouvait-on l'arrêter ? Et je fermais les yeux et sentait vaguement : tout n'est qu'un songe, un songe confus ! Et la ville où il me faut aller, là-bas, au-delà des vastes champs, et mon avenir dans cette ville, et mon passé à Kamenka, cette claire journée d'arrière-saison qui touche déjà au soir, et moi-même, mes pensées, mes rêves, mes sentiments, tout n'est qu'un songe ! Triste, éprouvant ? Non, heureux malgré tout, léger...
Il fait nuit ; sur ma colline, le mistral gronde, hurle, se déchaîne…/… Le mistral file à toute allure, les branches des palmiers, bruissantes et échevelées, semblent aussi filer quelque part… Je me lève et ouvre à grand peine la porte du balcon. Le froid me fouette violemment le visage ; au-dessus de ma tête s’ouvre, béant, un ciel noir de jais, flamboyant d’étoiles blanches, bleues et rouges.
Nous n'avons pas la notion de notre commencement ni de notre fin.Et je regrette que l'on m'ait dit à quelle date précise je vins au monde.Si je ne l'avais pas su,je n'aurais maintenant aucune idée de mon âge-d'autant plus que je n'éprouve point encore le poids des ans-et je ne souffrirais pas de penser que dans dix ou vingt ans il me faudra mourir.page9(toujours la première page,à ce rythme je vais transcrire tout le livre...)
Ainsi commencèrent mes années d'adolescence, pendant lesquelles je vécus intensément non pas la vie réelle qui m'entourait mais la vie presque entièrement imaginaire en laquelle elle se transformait.
La vie réelle était extrêmement pauvre.
J'espérais trouver avec elle un compromis qui permettrait de tout concilier. Il faudrait simplement en toute occasion la persuader de ceci : vis uniquement pour moi et de moi, ne me prive pas de ma liberté, de mon indépendance, je t'aime et je ne t'en aimerai que davantage. J'avais l'impression que tout était permis, que tout me serait pardonné... puisque je l'aimais tant !
La profondeur du ciel, l'immensité des champs à perte de vue me parlaient d'autres choses existant au-delà, suscitaient le rêve et l'inquiétude de ce qui me manquaient, me touchaient d'un amour mystérieux et d'une tendresse diffuse...
Quand nous sortimes,le soir tombait déjà."Aimez-vous Tougueniev?" Demanda-t-elle.Je fus embarrassé pour répondre;on me posait toujours la même question:du moment que j'étais né à la campagne ,que j'y avais grandi,on s'imaginait que j'aimais Tourgueniev."...p.291
Si je devais parler de la décrépitude des hobereaux, ce serait pour en exprimer toute la poésie. J'évoquerais les champs à l'abandon, ce qu'il reste d'un manoir, d'un parc, d'une domesticité, d'une écurie, d'une meute de chasse, j'évoquerais les petits vieux et les petites vieilles, je veux dire les "vieux seigneurs" qui se réfugient dans les pièces de l'arrière-cour pour faire place aux jeunes - c'est cela qui est douloureux. Il faudrait aussi décrire les "jeunes seigneurs" : ignares, fainéants, sans le sou, ils se croient encore la crème de l'aristocratie, les dépositaires du sang bleu.
Mais l'idée me traversait quelquefois qu'il ne suffit pas d'avoir des ailes pour voler, encore faut-il qu'elles puissent se déployer.
Au lycée ,je ne sais pourquoi,on nous avait fait apprendre par coeur:"....Pour préparer la levée du corps,en présence des proches,des amis et des parents du défunt,on multiplie les encensements autour du trépassé et on chante les tropaires pour le repos de son âme jusqu'au Jugement dernier et jusqu'à la résurrection des morts...".Je songeais tout à coup avec stupéfaction que ce "chrétien" en l'occurrence,était Pissarev et je fus épouvanté de penser au temps infini qu'il lui faudrait attendre jusqu'à la résurrection ,après quoi commencerait,paraît-il,et se prolongerait dans les siècles et les siècles,une existence,absolument inimaginable,n'ayant ni sens,ni finalité,ni échéances...p.163