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EAN : 9782825120095
179 pages
L'Age d'Homme (30/11/-1)
4.75/5   4 notes
Résumé :
Traduit du russe, préfacé et annoté par Jean Laury

Jours maudits est le journal que Bounine tint pendent la révolution russe de janvier 1918 à juin 1919. Jamais publié en URSS et inédit en français, ce journal d’une diversité remarquable se fait témoin d’un pays déchiré et désemparé qui, en rejetant son passé, donne naissance à un autre monde.
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique

Ivan Bounine (1870-1953) a été le tout premier écrivain russe et aussi le premier auteur en exil à recevoir le Prix Nobel littérature, en 1933. le présent ouvrage est probablement le seul journal intime des années 1918-1920 écrit par un ennemi de la Révolution russe d'octobre 1917. L'auteur méprisait les bolcheviques qui, selon lui, ruinaient sa patrie bien-aimée.

Déjà en 1903, il avait reçu l'important Prix Pouchkine. Lorsque ses amis décédaient, Anton Tchekhov en 1904 et Léon Tolstoï en 1910, Bounine restait le seul à maintenir l'héritage de "l'écriture aristocratique" dans un contexte culturel qui rejetait de plus en plus les valeurs traditionnelles. Il avait vu à Ognevka (dans la région de Toula et Oryol) la dévastation de la ferme de son frère Evguėni par des éléments irréguliers se disant communistes.

Bounine constatait que la Russie venait d'entrer dans un cycle ou un cataclysme, qui finirait dans l'abîme ou l'apocalypse. Après un adieu à Maxime Gorki et son épouse Ekaterina, Bounine et sa femme Vera Muromtseva quittèrent Moscou le 3 juin 1918. L'écrivain avait 47 ans. Leur voyage par train hospitalier fut pénible et long et il leur a fallu 13 jours pour joindre la ville portuaire d'Odessa à la Mer Noire (1138 kilomètres ferroviaires).

Bounine connaissait Odessa pour y avoir vécu avec sa 1re femme, Anna Tsakni de 1898 à 1900 et d'y avoir perdu son fils Kolya de 5 ans. Ses souvenirs de cette ville la plus dynamique après Saint-Pétersbourg étaient donc mixtes : d'une part il y avait assisté à des pogroms et d'autre part il y avait rencontré ses amis écrivains Alexandre Kouprine (1870-1938), l'auteur du célèbre roman "Le duel" (de 1904) et surtout Anton Tchekhov de qui il a écrit une biographie doublée d'un essai "Sur Tchekhov". Un véritable monument littéraire.

Comme les Soviétiques gagnaient progressivement le dessus, pendant que des ex-soldats du général Anton Dénikine (1872-1947), chef des Armées blanches, volaient et pillaient pour survivre, Bounine, la mort dans l'âme, savait que l'heure de l'exil avait sonné. La propre fille du commandement en chef, l'essayiste Marina Grey-Denikina a écrit un intéressant ouvrage à ce sujet "La campagne de glace : Russie 1918", qui récrée justement ce climat dingue.
Troupes rouges ou blanches, la violence et l'horreur étalent par ailleurs réciproques.

L'année 1920, il y a exactement un siècle, le grand Nobel, après un périple à travers le Balkan, est venu s'installer en France, qui lui a accordé la nationalité. Il a vécu jusqu'à sa mort, d'une crise cardiaque le 8 novembre 1953, au numéro 1 rue Jacques Offenbach à Paris XVI, où une belle plaque commémorative de son séjour de 33 ans orne la façade.
L'homme qui a été tellement calomnié dans son pays de naissance par ce sympathique régime de Staline et successeurs, y a actuellement 3 musées à son nom. L'ouvrage sous rubrique qui y était rigoureusement interdit pendant toutes ces années, y connaît aujourd'hui une 16ème réédition !

Après lecture de "Jours maudits", je suis encore plus persuadé qu'Ivan Bounine a été un homme d'une qualité littéraire rare. Il a cette ouverture d'esprit du grand voyageur et la discipline d'un traducteur consciencieux (il a traduit entre autres Lord Byron et Alfred de Musset et a voyagé, dès avant 1914-1918, en Égypte, aux Indes, en Turquie, Palestine etc.)
Et il a ce génie de la formulation.

Grâce aux immenses efforts de l'écrivain et professeur new-yorkais Thomas Gaiton Marullo, qui a préfacé l'ouvrage et enrichi le texte de maintes annotations, plus quelques corrections d'erreurs de Bounine dues à la distance de sa patrie, ce livre offre un intérêt historique tout à fait exceptionnel.
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Ivan Bounine était un poète et romancier Russe né en 1870 à Voronèj et décédé à Paris en 1953.
Avec cet ouvrage, il s'agit de l'un des rares témoignages directs de l'effroyable période Léniniste. En effet, son récit se situe, plus précisément, entre janvier 1918 et juin 1919. Il s'enfuit de Russie, et plus exactement d'Odessa en janvier 1920, pour se réfugier en France.
Ce témoignage exceptionnel se présente donc sous la forme de notes prises sur le vif, au jour le jour ; et l'auteur nous fait part de ce qu'il a vécu, vu, observé, entendu et lu en Russie durant cette période de chaos indescriptible sous la Terreur Rouge Communiste, consécutivement au coup d'État Bolchevique (Communiste) du 25 Octobre 1917 à Petrograd.
Ce n'est qu'en 1988 que son témoignage fut publié en France ; mais à cette époque, son ouvrage n'était toujours pas édité en Russie…Ivan Bounine nous décrit donc une foultitude d'actes de discrimination divers et variés, absurdes, plus délirants les uns que les autres : notamment la discrimination de « classe » conduisant le Pouvoir Bolchevique à accomplir massivement d'ignobles actes criminels de torture, de barbarie, dégradants et déshumanisants à l'encontre des victimes… !
Les deux principaux organes de répression du régime Totalitaire Bolchevique, étaient : l'Armée Rouge commandée par l'infâme Léon Trotski ; et la Police Politique, la Tcheka (nommée par Ivan Bounine Tchrezvytchaïka) dirigée par le sadique Félix Dzerjinski.
Voici donc quelques exemples de l'application de cette Terreur de masse servant à imposer, par la force, l'Idéologie Totalitaire Communiste (page 15) :
* 6 février 1918 à Moscou.
« Dans le Rousskoïé Slovo (La Parole Russe) :
« Les moujiks du village de Pokrovskoïé de la région de Tambov ont rédigé un procès-verbal :
» le 30 janvier, nous, société, avons poursuivi deux pillards, nos concitoyens Nikita Alexandrovitch Boulkine et Andriane Alexandrovitch Koudinov. Par accord de notre société, ils ont été poursuivis et tués sur-le-champ ».
Ici même cette « société » a élaboré un code pénal original :
– Si quelqu'un frappe quelqu'un, alors la victime devra frapper l'offenseur dix fois.
– Si quelqu'un frappe quelqu'un en occasionnant blessure ou cassure, alors il faut ôter la vie à l'offenseur.
– Si quelqu'un vole ou accepte de cacher des choses volées, alors il faut le priver de la vie.
– Si quelqu'un met le feu à quelque chose et est démasqué, alors il sera privé de la vie.
Peu de temps après ils ont pris deux voleurs en flagrant délit. Ils les ont « jugés » immédiatement et condamnés à la peine capitale. D'abord ils ont tué le premier : ils lui ont cassé la tête avec un peson, lui ont enfoncé des fourches dans le côté et, après l'avoir déshabillé, l'ont jeté mort sur la chaussée. Ensuite, ils se sont attaqués à l'autre…
On lit maintenant tous les jours des choses de ce genre. »
* 8 février 1918 à Moscou (page 18) :
« D. est arrivé. Il s'est enfui de Simféropol. Il dit que là-bas c'est une « terreur indescriptible », les soldats et les ouvriers « pataugent jusqu'aux genoux dans le sang ». On a brûlé vif un vieux colonel dans la chaudière d'une locomotive. »
* 19 février 1918 à Moscou (pages 28 et 29) :
« Lu une « résolution adoptée par l'équipage du navire de ligne Svobodnaïa Rossaïa (La Russie Libre), et qu'on vient d'amener de Sébastopol. Un chef-d'oeuvre tout à fait remarquable :
« À tous, à tous, et à ceux des alentours de Sébastopol qui tirent à tort et à travers !
Camarades, si vous continuez ainsi, un malheur vous arrivera, il n'y aura bientôt plus de quoi tirer même au but, vous allez tout dépenser et vous serez Gros-Jean comme devant et alors on vous prendra, mes chéris, même les mains vides.
Camarades, la bourgeoisie avale même ceux qui sont dans leurs cercueils et dans leurs tombes. Vous, traîtres, tireurs, en gaspillant vos cartouches, vous l'aidez à avaler les autres. Nous appelons tous les camarades à se ranger à notre avis et à interdire de tirer à tous ceux qui ont une tête de mule.
Camarades, faisons à partir d'aujourd'hui en sorte que chaque coup de feu nous dise : ça fait un bourgeois, un socialiste de moins ! Chaque balle que nous lâchons doit atteindre une grosse panse et non pas faire mousser l'eau de la baie.
Camarades, prenez soin des cartouches plus que de la prunelle de vos yeux. On peut encore vivre avec un seul oeil, mais on ne peut pas vivre sans cartouches.
Si vous recommencez à tirer vers la ville et la baie à un prochain enterrement, sachez que vous, fusilleurs marins du navire de ligne Svobodnaïa Rossaïa, nous tirerons une bonne fois et, alors, si vous avez vos tympans et vos vitres qui éclatent, ne venez pas nous le reprocher.
Donc, camarades, il n'y aura plus à Sébastopol de tirs insensés et inutiles, il y aura un tir, mais pratique, sur la contre-révolution et la bourgeoisie et non dans l'eau ou dans l'air, sans lesquels personne ne peut vivre même une minute ! ». »
* 24 février 1918 à Moscou (pages 34 et 35) :
« La Vlast Naroda téléphone au service des communications :
Donnez-moi le 60-42. On leur donne la communication et la Vlast Naroda entend, d'une façon inattendue, une conversation entre quelqu'un et le Kremlin :
– J'ai quinze officiers et un adjudant de Kalédine.
Qu'en fait-on ?
– Fusillez-les immédiatement. »
* 1er mars 1918 à Moscou (pages 37 et 38) :
« D. a ajouté : « Les bolcheviks se livrent à Rostov à des atrocités terribles. Ils ont profané la tombe de Kalédine et ont fusillé six cents soeurs de charité… ». Même si ce n'est pas six cents, ils en ont probablement fusillé pas mal.
(…) le cuisinier du Iar (un restaurant alors célèbre à Moscou) m'a dit qu'on lui a pris tout ce qu'il avait gagné en travaillant dur pendant trente ans devant un poêle, dans une chaleur de 90 degrés. « Et Orlov-Davydov, a-t-il ajouté, avait envoyé à ses moujiks un télégramme, je l'ai lu moi-même : « Brûlez la maison, égorgez le bétail, coupez la forêt, mais laissez un bouleau, pour les verges, et un sapin, pour qu'il y ait à quoi vous pendre ! ». »
Dans le déroulement de sa prise de notes, Ivan Bounine nous livre également une très intéressante discussion concernant la stratégie Internationaliste de Terreur de masse organisée par Lénine et Trotski (pages 46 et 47) :
* 13 mars 1918 à Moscou :
« Rentré avec Tikhonov. Chemin faisant, il a beaucoup parlé des chefs bolcheviks, comme quelqu'un qui leur est très proche : Lénine et Trotski ont décidé d'entretenir la tension en Russie et de ne pas mettre fin à la terreur, ni à la guerre civile, aussi longtemps que le prolétariat européen n'entrerait pas en scène. Leur appartenance à l'état-major allemand ? Non, c'est là une absurdité ; ce sont des fanatiques, ils croient en un embrasement mondial. Ils ont une peur bleue de tout, ils voient partout des complots. Ils tremblent jusqu'à maintenant et pour leur pouvoir et pour leur vie. Ils ne s'attendaient en aucune façon (je le répète) à leur victoire en octobre. Après la chute de Moscou, ils sont tombés dans un terrible désarroi, ont accouru à la rédaction de la Novaïa Jyzn, nous ont suppliés d'être ministres, nous ont proposé des portefeuilles. »
Puis, Ivan Bounine nous confie son profond désespoir dans cette Russie mise à feu et à sang par le régime Totalitaire Lénino-Trotskiste (page 53) :
* 12 avril 1919 à Odessa :
« Ah, ces rêves de mort ! Quelle place énorme, en général, la mort n'occupe-t-elle pas dans notre existence déjà si infime ! Sans parler même de ces années : nous vivons jour et nuit une orgie de mort. Et tout cela au nom de l' »avenir radieux », qui devrait naître de ces ténèbres diaboliques. Et sur la terre s'est déjà constituée toute une légion de spécialistes, d'entrepreneurs de l'édification du bien-être humain. « Et cet avenir, en quelle année arrivera-t-il donc ? », comme le demande le carillonneur d'Ibsen. On dit toujours que c'est pour très bientôt : « C'est la lutte finale ! » – Éternel conte rouge. »
Ivan Bounine résume à nouveau parfaitement bien l'implacable détermination Totalitaire des dirigeants Bolcheviques, à commencer par le bras droit de Lénine, Trotski (page 93) :
* 24 avril 1919 à Odessa :
« Un article de Trotski sur la « nécessité d'achever Koltchak ». Bien sûr, c'est la première nécessité, et non seulement pour Trotski, mais pour tous ceux qui pour faire mourir le « passé maudit » sont prêts à faire mourir jusqu'à la moitié du peuple russe. »
L'auteur nous décrit alors les effroyables méthodes meurtrières de la Police Politique, la Tchéka (Tchrezvytchaïka), (page 96) :
* 24 avril 1919 à Odessa :
« En général, maintenant, ce qui fait peur, ce qui est le plus horrible, le plus ignominieux, ce ne sont même pas les horreurs et les ignominies en elles-mêmes, mais qu'il faille expliquer qu'elles en sont, disputer si elles sont bonnes ou mauvaises. N'est-ce pas l'horreur extrême que je doive prouver, par exemple, qu'il vaut mieux mille fois crever de faim, que d'apprendre à ce porc iambes et chorées, pour qu'il puisse chanter comment ses camarades pillent, violent, matraquent, souillent les églises, découpent en lanières le dos des officiers blancs et marient des prêtres avec des juments !
À propos de la Tchrezvytchaïka d'Odessa. Là, ils ont maintenant une nouvelle méthode pour fusiller les gens : sur le siège des W.C.. »
Également (page 166, 169 et 170) :
« On dit que les marins qu'on nous a envoyés de Pétrograd, sont devenus complètement forcenés d'ivrognerie, de cocaïne et de licence. À la Tchrezvytchaïka, ils font irruption, ivres, chez les détenus et, sans ordre des chefs, tuent qui bon leur semble. Il n'y a pas longtemps, ils se sont précipités pour tuer une femme avec son enfant. Elle les implorait de l'épargner pour l'enfant, mais les matelots lui ont crié : « T'en fais pas, on va lui envoyer un pruneau à lui aussi ! » Et ils l'ont tué. Pour s'amuser, ils font sortir les prisonniers dans la cour et tirent sur eux en faisant exprès de les rater. »
11 juin 1919 à Odessa :
« (…) L'anthropologie légale distingue les criminels accidentels, ceux qui commettent un crime par hasard, « gens dénués d'instincts criminels ». Mais, selon elle, les criminels « instinctifs » sont tout à fait autre chose. Ils sont toujours comme des enfants, comme des animaux, et leur signe essentiel, leur trait fondamental est la soif de destruction, une nature asociale.
(…) En temps de paix nous oublions que le monde regorge de ces dégénérés, en temps de paix ils sont en prison, aux petites maisons. Mais voici qu'arrive le temps où le « peuple souverain » triomphe. Les portes des prisons et des petites maisons s'ouvrent, les archives de police sont incendiées : la bacchanale commence. La bacchanale russe a dépassé toutes les précédentes et a considérablement étonné et chagriné même ceux qui depuis plusieurs années appelaient à aller au Rocher de Stiopka [(note n°61/48, page 121 : Stepan Razine, chef cosaque (1630-1671). Il prit la tête de la révolte de 1667-1670, qui dégénéra en guerre paysanne. Il s'empara de plusieurs villes sur la Volga et acquit une immense popularité. Battu à Simbirsk, alors qu'il menaçait Moscou, il fut livré par l'aristocratie cosaque. Plusieurs, chansons populaires, comme celle citée par Bounine, évoquent son souvenir)] écouter « ce que pensait Stepan ». Bizarre étonnement ! Stepan ne pouvait pas penser au social, Stepan était un criminel « né », justement de cette race scélérate à laquelle, en effet, on va livrer, peut-être, un nouveau long combat. »
En plus de la cible « bourgeoise », les Bolcheviques ratissaient extrêmement large pour exterminer leurs victimes, comme les nombreux pogroms antisémites (page 113 et 114) :
2 mai 1919 à Odessa :
« Pogrom à Bolchoï Fontan, commis par les gardes rouges d'Odessa.
Ovsianiko-Koulikovski et l'écrivain Kipen sont passés chez nous. Ils nous ont rapporté les détails. À Bolchoï Fontan 14 commissaires et 30 juifs tués. Beaucoup de boutiques pillées. Ils faisaient irruption la nuit, arrachaient les gens de leurs lits et les tuaient tous sans distinction. Les gens s'enfuyaient dans la steppe, se jetaient à la mer, ils les poursuivaient et leur tiraient dessus : une vraie chasse. Kipen y a échappé par hasard, il dormait, par bonheur, non chez lui, mais au sanatorium de la Fleur Blanche. À l'aube, une troupe de gardes rouges est survenue : « Il y a des youpins ici ? » ont-ils demandé au gardien. « Non, y en a pas ici. » – « Jure-le ! » le gardien a juré et les gardes rouges ont continué leur chemin.
Ils ont tué Moisseï Houtman, le roulier qui, l'automne dernier, nous avait déménagés de la datcha en ville, un homme très gentil. »
Étant donné qu'au sein d'un État Totalitaire, comme l'État Soviétique, la Police Politique (Tchéka) instaurée par Lénine lui-même, était chargée de perquisitionner n'importe qui, dans n'importe quels appartements ou maisons et à n'importe quel moment ; tout le monde devait se méfier de tout le monde. On retrouvera ce type de persécution collective sous tous les régimes Totalitaires Communistes de la planète ; sorte de gigantesque paranoïa généralisée par la Terreur de masse, à l'échelle de tout un Peuple. Chacun devait faire attention à ce qu'il disait et écrivait, même auprès des membres de sa propre famille, sous peine de risquer d'être dénoncé à tout instant (pages 132 et 133) :
* Nuit du 15 mai 1919 à Odessa :
« J'ai révisé mon « portefeuille » et j'ai déchiré pas mal de poésies, quatre récits commencés cette année, mais maintenant je le regrette. Tout cela vient du chagrin, du désespoir (bien qu'auparavant cela me soit aussi arrivé plus d'une fois). J'ai caché différentes notes des années 17 et 18.
Ah, cacher et recacher, la nuit, comme un voleur, des papiers, de l'argent ! Toutes ces années, des millions de Russes sont passés par cette déchéance, cette humiliation. Et combien de cachettes ne trouvera-t-on pas plus tard !
Et toute notre époque deviendra un conte, une légende… »Ce précieux témoignage de Ivan Bounine décrit parfaitement bien l'effroyable ambiance de Terreur généralisée qui régnait après le coup d'État Bolchevique du 25 octobre 1917 à Petrograd, et ce, dans toute la Russie ; sous le Pouvoir Totalitaire Communiste instauré par Lénine, Trotski et consorts criminels de masse.
Lien : https://totalitarismes.wordp..
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Mieux qu'un livre d'histoire. Description au jour le jour, à Moscou puis à Odessa, de la mise en place du pouvoir bolchévique après le coup d'état. Exécution sans jugement, terreur au quotidien, revanche des minables et de toutes les crapules sous couvert de la “révolution” et du pouvoir du peuple…
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
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Odessa, 24 avril 1919.

Quand un désespoir total nous met le moral au plus bas, on se surprend soi-même à caresser la pensée que viendra quand même le jour de la vengeance, où les temps présents seront maudits par tout un chacun. On ne peut pas vivre sans cet espoir. Oui, mais en quoi peut-on espérer maintenant, quand on a découvert une vérité aussi indiciblement terrible sur l'homme ?
Tout sera oublié et même glorifié ! Et cela se fera avant tout avec l'aide de la littérature, qui peut déformer tout ce qu'on veut, comme l'a fait, par exemple, avec la révolution française, cette tribu des plus nuisibles sur terre qu'on appelle les poètes et qui, pour un seul vrai saint, compte toujours dix mille faux dévots, dégénérés et charlatans.

« Heureux celui qui visita ce monde / En ses heures fatales ! »

Oui, nous subtilisons, nous philosophons sur tout, même sur ces choses innommables qui se passent maintenant chez nous, semblables à ce sage d'une fable de Krylov, qui, tombé dans un puits, ne se départait pas de son éloquence ... Ainsi, nous discutons encore maintenant, par exemple, sur Blok : est-il vrai que ces canailles, qui ont tué une fille des rues, sont des apôtres ou, quand même, pas vraiment ? Mikhrioutka, qui brise en morceaux un miroir vénitien, est immanquablement pour nous un Hun, un Scythe, et nous sommes pleinement satisfaits quand nous lui collons cette étiquette.
En général, cette façon littéraire d'approcher la vie nous a tout simplement empoisonnés ... Qu'avons-nous fait, par exemple, de cette immense vie, d'une diversité infinie, qu'a vécue la Russie durant ce dernier siècle ? On l'a découpée, divisée en décennies : les années trente, quarante, soixante, et on a défini chaque période par son héros « littéraire » : Tchatski, Oniéguine, Petchorine, Bazarov ... N'est-ce pas à mourir de rire, surtout si on se souvient que ces héros avaient, l'un dix-huit ans, l'autre dix-neuf et le troisième, le plus âgé, vingt !

(...)

Je suis en train de relire la Falaise (de Gontcharov). Il y a des longueurs, mais comme c'est intelligent, fort. Pourtant il faut que je fasse des efforts pour lire — tellement je répugne maintenant à ces Marc Volokhov ! Combien de mufles n'a-t-il pas engendrés, ce Marc ?

— « Pourquoi vous êtes-vous glissé dans le jardin d'autrui et y avez-vous mangé les pommes d'autrui ? »
— « Mais qu'est-ce cela veut dire : d'autrui ? Et pourquoi je ne peux pas en manger, si j'en ai envie ? »

Marc est une création véritablement géniale, et c'est là l’œuvre étonnante des artistes : l'homme saisit, concentre et incarne si admirablement ce qui est typique, diffus dans l'air, qu'il en multiplie par cent l'existence et l'influence, ce qui souvent est tout à fait contraire à son intention. Tel, qui voulait se moquer des vestiges de la chevalerie, a créé Don Quichotte, et c'est non pas la vie, mais ce Don Quichotte fictif qui donne naissance à des milliers de Don Quichotte réels. Tel autre, qui voulait condamner le phénomène Marc, a produit des milliers de Marc, engendrés non pas par la vie, mais par le livre. En général, comment peut-on séparer le réel de ce que nous appelons la littérature, le théâtre, le cinéma ? Beaucoup de personnes ont fait partie de ma vie, mais m'ont probablement influencé bien moins que les héros de Shakespeare et de Tolstoï. Et dans la vie d'un autre, c'est Sherlock qui entre, et dans la vie d'une femme de ménage, celle qu'elle a vue à l'écran dans une auto ...
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J'étais un symboliste, un mystique, un réaliste, un néoréaliste ... un naturaliste, et Dieu sait quoi encore. Les critiques m'ont collé tant d'étiquettes que je me sentais comme une valise qui avait fait le tour du globe.

Introduction, page 5.
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