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Citations sur Les Structures sociales de l'économie (3)

[sur les profils de fonctionnaires]

La distance à l’égard de la bureaucratie ordinaire et de ses routines est sans doute, avec les dispositions qui sont habituellement associées à une origine sociale très élevée et à la « précocité », comme l’« audace », l’« ambition », l’« enthousiasme », etc., ce qui sépare le plus clairement les « révolutionnaires bureaucratiques » de la grande masse des fonctionnaires des structures de gestion : à la différence de ces « novateurs » qui, pour la plupart, n’ont aucune expérience des postes locaux et de l’administration ordinaire et qui ont d’emblée occupé des positions, sans doute mineures ou marginales, mais proches des centres de décision, dans les organismes de recherche et de planification (tels que le GRECOH), les gestionnaires, qui sont le plus souvent dotés d’une formation juridique sans originalité particulière, ont tenu fort longtemps des postes locaux ou purement administratifs, pour parvenir à des positions centrales selon la logique de la promotion interne, et sans passer par les cabinets ministériels ni par l’étranger.
À ces deux catégories d’agents correspondent deux modes de pensée, deux visions du monde bureaucratique et de l’action de la bureaucratie, et aussi deux espèces tout à fait opposées de capital bureaucratique dont on voit immédiatement qu’elles sont sociologiquement liées à des propriétés sociales, d’âge, de formation scolaire et d’ancienneté dans l’administration : d’un côté, le capital bureaucratique d’expérience, qu’il s’agisse de la « connaissance des hommes » propre à un chef du personnel ou de la connaissance des règlements propre à un chef de bureau expérimenté, ne peut s’acquérir qu’à la longue, avec le temps, et il est donc lié à l’ancienneté dans l’administration ; de l’autre, des formes de capital bureaucratique à base technique, susceptible d’être acquis plus rapidement, par des procédures plus rationalisées et plus formalisées, comme l’enquête statistique, s’agissant de la connaissance d’un personnel, ou la modélisation mathématique, s’agissant d’évaluer les coûts et les effets d’une mesure, et propres à menacer le capital d’information acquis à l’ancienneté. La force d’un fonctionnaire particulier, ou d’un corps, tient toujours pour une part à sa capacité de maîtriser, voire de monopoliser, cette ressource rare qu’est l’information (et l’on sait que, dans les luttes internes, la « rétention d’information » est une des armes des détenteurs du capital d’information fondé sur l’expérience et l’ancienneté). On peut citer ici l’exemple, souvent invoqué par les informateurs, d’un personnage devenu quasi légendaire, M. Latinus, attaché principal du Trésor entre 1945 et 1975, qui, possédant une connaissance unique de tous les règlements en matière de financement de l’aide à la pierre et de calcul des coûts par catégorie de logement aidé, jouait un rôle tout à fait semblable à ceux qu’en certaines civilisations on appelle des « bibliothèques vivantes » : indispensables au bon fonctionnement de la bureaucratie, parce que seuls capables de se débrouiller dans le maquis des règlements, circulaires, additifs et rectificatifs, ces personnages respectés, sans cesse consultés par les autres, notamment par les plus jeunes, deviennent des sortes d’arbitres et d’experts dont nul ne peut contrôler l’action. Une part de ce que l’on impute à l’« inertie bureaucratique » ou aux « résistances » des fonctionnaires, véritables « vertus dormitives » qui ne font que déguiser la description en explication, s’explique en réalité par le fait que certaines mesures menacent ce capital lié à l’ancienneté et à l’expérience. De façon plus générale, toutes les formes de capital scientifique ou technique qui permettent une accumulation ou une utilisation accélérée du savoir font courir un danger aux détenteurs d’une compétence pratique fondée sur la seule expérience.
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(Un petit entrepreneur]

– Il semble que vous avez avec les architectes en général des relations assez difficiles… enfin c’est pas que vous leur en voulez, mais…
M. D. : Ah, si ! Si, je leur en veux, parce que j’ai de bonnes raisons de leur en vouloir. […] Je leur en veux parce que tout simplement j’estime que ce sont des gens qui bénéficient d’une situation de monopole qui m’apparaît, moi, intolérable. […] Il est clair qu’on assiste à des abus scandaleux de la part de ces architectes dits des Bâtiments de France, ou des DDE. Ces gens-là, il n’y a aucune espèce de critères sur lesquels on puisse les contrôler. Aucun. Donc ils font ce qu’ils veulent […] Par exemple, quand on vous dit que les saillies des toitures ne doivent pas faire plus de 12 cm, […] et je ne vois pas en quoi ça peut atteindre l’environnement que d’avoir une saillie de toiture qui fasse 30 cm au lieu de 12 cm. C’est complètement con, excusez-moi du terme […] Mais si, à ce moment-là, l’architecte Z est changé par l’architecte X, tout est changé : ce qui était beau avant devient vilain. Alors… toute une profession hurle, mais ça n’empêche que c’est comme ça. Quoique, maintenant, ça s’est bien atténué. Mais au début, je dirais jusqu’à il y a à peu près cinq ans, c’était fou, complètement fou.
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[le jeu avec la règle] [les « petits fonctionnaires »]

Cela dit, et au risque de décevoir ceux qui verront dans ces analyses une résurgence inattendue (ou inespérée) de la « liberté », il faut rappeler que ce n’est pas un sujet pur, et libre, qui vient occuper les marges de liberté toujours laissées aux fonctionnaires, à des degrés divers selon leur position dans la hiérarchie. Ici comme ailleurs, c’est l’habitus qui vient combler les vides de la règle et, aussi bien dans les situations ordinaires de l’existence bureaucratique que dans les occasions extra-ordinaires qu’offrent aux pulsions sociales les institutions totales (comme le camp de concentration), les agents peuvent s’emparer, pour le meilleur ou pour le pire, des marges laissées à leur action, et profiter de la position de supériorité – même tout à fait infime et provisoire, comme celle du guichetier – que leur donne leur fonction pour exprimer les pulsions socialement constituées de leur habitus. C’est ainsi que les postes subalternes d’encadrement et de contrôle des « institutions totales » (internat, caserne, etc.) et, plus généralement, les postes d’exécution des grandes bureaucraties doivent nombre de leurs traits les plus caractéristiques, qui ne sont pourtant jamais prévus dans aucun règlement bureaucratique, aux dispositions qu’y importent, à un moment donné du temps, ceux qui les occupent : les fonctionnaires « remplissent leur fonction » avec toutes les caractéristiques, désirables ou indésirables, de leur habitus. Et nombre des « vertus » et des « vices » de la petite bureaucratie sont imputables autant, sinon davantage, au fait que les postes subalternes étaient parfaitement accueillants, jusqu’à une date récente, à la petite bourgeoisie en ascension et à ses dispositions strictes mais aussi étroites, rigoureuses mais aussi rigides, réglées mais aussi répressives.
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