Citations sur Les règles de l'art (26)
Dans le champ artistique ou littéraire parvenu au stade actuel de son histoire, tous les actes, tous les gestes, toutes les manifestations sont, comme dit bien un peintre, "des sortes de clins d'oeil à l'intérieur d'un milieu" : ces clins d'oeil, références silencieuses et cachées à d'autres artistes, présents ou passés, affirment dans et par les jeux de la distinction une complicité qui exclut le profane, toujours voué à laisser échapper l'essentiel, c'est-à-dire précisément les interrelations et les interactions dont l'oeuvre n'est que la trace silencieuse. Jamais la structure même du champ n'a été aussi présente dans chaque acte de production.
C'est à travers le travail sur la langue, qui implique à la fois et tour à tour résistance, lutte, et soumission, remise de soi, qu'opère la magie évocatoire qui, comme une incantation, fait surgir le réel.
Mais comment ne pas voir en outre que par une telle réaffirmation – sans exemple depuis Delacroix – du pouvoir de l’individu créateur, et de son droit à la libre affirmation de soi, qui a pour corrélat le droit du critique ou du spectateur à la compréhension émotionnelle, sans préalables ni présupposés, il ne fait qu’ouvrir la voie à cette affirmation radicale de la liberté de l’écrivain que sont le « J’accuse » et les combats de l’affaire Dreyfus ? Droit à la vision subjective et revendication de la liberté de dénoncer et de condamner, au nom d’exigences intérieures, la violence irréprochable de la raison d’État ne font qu’un.
L’œuvre d’art consacrée, le travail de fabrication matérielle, n’est rien sans le travail de production de la valeur de l’objet fabriqué.
L’œuvre est bien faite non pas deux fois, mais cent fois, mille fois, par tous ceux qui s’y intéressent, qui trouvent un intérêt matériel ou symbolique à la lire, la classer, la déchiffrer, la commenter, la reproduire, la critiquer, la combattre, la connaître, la posséder.
Il n’est sans doute pas facile, même pour le créateur lui-même dans
l’intimité de son expérience, de discerner ce qui sépare l’artiste raté, bohème
qui prolonge la révolte adolescente au-delà de la limite socialement assignée,
de l’“artiste maudit”, victime provisoire de la réaction suscitée par la révolution
symbolique qu’il opère. Aussi longtemps que le nouveau principe de
légitimité, qui permet de voir dans la malédiction présente un signe de l’élection
future, n’est pas reconnu de tous, […] l’artiste hérétique est voué à une
extraordinaire incertitude, principe d’une terrible tension.
Et les adolescences romanesques, comme celles de Frédéric ou d’Emma, qui,
tel Flaubert lui-même, prennent la fiction au sérieux parce qu’ils ne parviennent pas
à prendre au sérieux le réel, rappellent que la “réalité” à laquelle nous mesurons toutes
les fictions n’est que le référent universellement garanti d’une illusion collective.
Les musées pourraient écrire à leur fronton - mais ils n'ont pas à le faire tant cela va de soi : que nul n'entre ici s'il n'est amateur d'art.
Bien qu'il s'apparaisse à lui-même sous les apparences d'un don de la nature, l'oeil de l'amateur d'art du XXe siècle est le produit de l'histoire... il est associé à des conditions d'apprentissage tout à fait particulières, comme la fréquentation précoce des musées et l'exposition prolongée à l'enseignement scolaire et surtout à la "skholè" comme loisir, distance à l'égard des contraintes et des urgences de la nécessité, qu'il suppose.
N'observe-t-on pas qu'il est à peu près impossible de déterminer à quel moment un objet ouvré devient une œuvre d'art, à partir de quand, par exemple, une lettre devient "littéraire", c'est-à-dire à quel moment la forme l'emporte sur la fonction ? Est-ce à dire que la différence tient à l'intention de l'auteur ? Mais cette intention, tout comme l'intention du lecteur ou du spectateur d'ailleurs, est elle-même l'objet de conventions sociales qui concourent à définir la frontière toujours incertaine et historiquement changeante entre le simple ustensile et l'œuvre d'art.