Je ne peux attendre d’aide de personne. La vieille maison aurait même l’air paisible s’il n’y avait cette tempête se levant sous mon crâne. J’aurais envie de sortir, de marcher dans la rue, de me fondre dans le brouillard et, tout en échappant aux regards, d’échapper à moi-même. 10Mais voilà que la démangeaison me reprend, il n’y a rien à faire qu’à subir, laisser l’encre tacher le papier, trace noire, indélébile, confession des événements passés.
Les faits que je me propose de vous relater dans mon journal semblent si étranges et extravagants que ma plume paraît encore hésiter à la pression volontaire de mon bras.
On me reprochera sûrement mon silence persistant durant ces dernières années, mais qu’aurais-je bien eu d’essentiel à retranscrire en comparaison de ce que je pressens comme l’aventure d’une vie ?
Londres, 1907
Au moment où je me dispose à embarquer pour traverser l’océan, je jure sur ce que j’ai de plus cher en ce monde que, quoi qu’il puisse m’arriver, je ne broderai ni n’exagérerai les événements que je m’apprête à vivre. On me permettra de ne pas me nommer, ni mon ami non plus d’ailleurs, et ne croyez pas que la lecture d’une simple initiale vous autorise à tirer quelque conclusion hâtive que ce soit.
Modestement ou avec vanité, les hommes ne pensent qu'à transmettre leur propre humanité, et à la transcender, en érigeant des monuments ou en fabriquant des objets. Leur manière d'arrêter le temps. La seule.
Les hommes ont un mot pour exprimer leur faiblesse face à la marche du monde : nostalgie.
Les dieux n'ont pas d'histoire, pas de culture, ils sont le point d'appui du désespoir des hommes.
La vie est une putain des rues sans parole ni dignité, c'est ma propre mère lapidée.
Le brouillard ne se lèvera pas, encore un jour où l'aube et le crépuscule demeureront amants.
La véritable prison est celle de notre corps. Peu d'hommes sont capables de s'en affranchir.