Citations sur La maison des intentions particulières / Ne m'appelle p.. (33)
- C'est toujours l'effet des guerres. [...] Elles nous prennent nos êtres chers, elles divisent les familles, elles créent des malheurs insoupçonnés. Et pourquoi ? Difficile à dire.
Je voulais te dire que tu peux être mon frère si tu veux. Du moment que tu me laisses être le tien.
Voilà plus de soixante ans que je n’ai plus vu un seul membre de ma famille russe. Il est presque impossible de croire que j’ai vécu jusqu’à quatre-vingt-deux ans et que j’ai passé si peu de ce temps parmi eux. J’ai négligé mes devoirs envers eux, mais ce n’est pas ainsi que je le percevais alors.
Car je n’aurais pu modifi er le cours de ma destinée, pas plus que la couleur de mes yeux. Les circonstances m’ont entraîné d’un moment à un autre, et ainsi de moment en moment, comme pour tous les hommes, et j’en ai suivi le cours sans poser de question.
" Où irons-nous ? " me demanda Anastasia alors que nous lisions la liste des villes où nous pourrions prendre une correspondance. Rome, Madrid, Vienne, Genève, Copenhague, peut-être, où son grand-père était roi.
" Où tu voudras, Anastasia. Où tu te sentiras en sécurité. "
Elle désigna une ville et j'acquiesçai, car ce nom semblait romantique. " Paris, alors, annonçai-je.
- Gueorgui, dit-elle en me prenant par le bras. Juste une chose.
- Oui ?
- Mon nom. Il ne faut plus l'utiliser, ce serait trop risqué. Toi, tu ne seras pas recherché, personne n'était au courant pour toi et moi, à part Marie, et elle... "
Elle s'interrompit, le temps de retrouver son calme. " Désormais, tu ne peux plus m'appeler Anastasia.
- Bien sûr. Mais comment vais-je t'appeler, alors ? Je ne vois aucun meilleur nom que le tien. "
Elle baissa la tête et réfléchit. Quand elle se redressa, elle semblait être devenue une toute autre personne, une jeune femme se lançant dans une nouvelle vie dont elle ignorait tout.
" Appelle-moi Zoïa. Cela signifie la vie. "
Quand la guerre finira, quand la paix sera rétablie, les gens exigeront de leurs dirigeants davantage que par le passé. C’est évident. Toutes les familles du pays auront perdu un fils au combat. Ne croyez-vous pas qu’ils voudront obtenir une compensation ?
Il y a dans la vie d’étranges moments de joie, des plaisirs imprévisibles...
On dit qu’on change de façon de parler à mesure qu’on devient plus assimilé dans un pays.
Je sais ce qu’on ressent quand on est un jeune homme amoureux. Et aussi quand on est un vieil homme amoureux. Parfois, il me paraît absurde que ce garçon formidable connaisse à présent les plaisirs de la chair ; j’ai l’impression qu’il n’y a pas si longtemps il ne désirait rien de plus que de s’asseoir sur mes genoux pour que je lui lise des contes de fées.
Cette nuit là fut l'une des plus froides, de mémoire d'homme, et le fleuve resta gelé pendant près d'une semaine.
Quand la glace commença à fondre et que l'on découvrit le corps de Raspoutine, il avait les bras écartés, les mains serrées comme des griffes, les ongles blancs d'avoir gratté la glace. Il avait essayé de s'échapper. Il n'était pas encore mort quand nous l'avions jeté à l'eau. Il s'était débattu pendant un temps indéterminé. Le cyanure ne l'avait pas tué, ni les quatre balles du prince, ni la noyade. Tout cela avait échoué.
J'ignore à quoi il finit par succomber. Tout ce qui comptait, c'est qu'il n'était plus.
Mon père et ma mère n’étaient pas très heureux en ménage.Il s’est passé des années depuis la dernière fois où j’ai dû subir leur compagnie, des dizaines d’années même, mais je pense à eux presque tous les jours, pendant quelques instants, pas plus. Comme un murmure de la mémoire, aussi léger que le souffle de Zoïa sur mon cou quand elle dort à côté de moi, la nuit. Aussi doux que ses lèvres sur ma joue quand elle m’embrasse pour commencer la journée. Je ne sais pas exactement quand ils sont morts. Je ne sais rien de leur décès, en dehors de la certitude naturelle qu’ils ne sont plus de ce monde. Mais je pense à eux. Je pense encore à eux.