La Terre encercle les oiseaux
Le Lieu
I
Sans chauffage, il fallait mettre l’hiver de
côté.
C’était la maison : l’escalier indécis, les
pierres légères, les espaces à l’abri du confort, les
seuils nomades. Les murs lestés de lézardes
improvisaient des haltes rassurantes. Des paquets de
vent s’y sont cognés en vain.
Mais l’azur ne dépèce plus l’arche à
pouvoirs. Même les herbes ont été chamboulées.
L’arbre à chattes est tombé le dernier.
À l’intérieur, la cheminée – son hâle de
bûches – cernait le séjour sans fenêtres. En haut,
Jean s’adossait aux livres, dans sa chaloupe de
signes. S’il éternuait, taché de sève par la coupe du
bois, c’était rassurant.
Les pierres sont propres maintenant. Ils ont
reconstitué le portail. Endormi les rides. Estompé
les marges. Et ce n’est pas fini.
Souvent, pour d’insoupçonnables fêtes, nous
rameutions des amis. L’alcool alors rassurait le réel
et tamisait le temps. Ensemble, nous savions
énerver les histoires, faire trembler les légendes. La
sangria tenait tête aux plus énormes rires.
Du mas Boisin, à Carsan, il n’y a plus rien à
aimer. Sauf maman qui, derrière, devant, toujours y
recommence le beau ménage de la poussière.
p.52
Le chasseur de rivières
(2004)
Extrait 2
Les chemins
sont éteints
la lune rousse
se déplie
jusqu’à
la chambre pâle
où les choses se tissent
avec ton sourire
petits bruits des cachettes
nouant les galaxies
Tu seras là
toi, ma rivière
Moi
je te tends les mains
parmi les îles
où se braconnent les plus beaux fleuves
pêche intouchable de la lune
p.289
La Terre encercle les oiseaux
Le Lieu
IV
Quand vient la mort, le passant se sépare du
visage qui jadis fut l’amour, il se fixe et s’accroche
longuement à la terre, il tournoie sur le lieu où le
corps n’a plus d’ancre, où le désir d’attirer à soi
glisse loin dans la course, la source.
p.54
Le chasseur de rivières
(2004)
Extrait 3
Tant d’eau
et d’herbe
qui harnachent
le temps
le temps
brodeurs des soirs
où les pluies se rassemblent
pour un portrait de famille
avec le grillon
envoûté
l’abeille
aux bottes de sept lieues
le vent dormant
dans un pertuis
p.286
Brûlant sombre
(2008)
Extrait 4
Ce matin
Ébriété de l'herbe
Scories de la nuit
Les chiens font taire le village
Une pluie
Rêveuse abandonnée
Apaise
Ses rides
Le vent tombe
Dans une embuscade
― Foins et rivière
p.298