Une chaude soirée de fin de printemps ou de début d'été, où les branches commençaient à se fondre les unes dans les autres, où tout au loin devenait moins net, jusqu'à ce que la nuit finisse par arriver, que toutes les lumières s'allument et que le jour soit une affaire classée.
- Je peux vous acheter une de ces bières ? demanda-t-il.
Joe se retourna et le regarda.
- Quoi ?
- J’ai un peu soif. […] Je peux vous en acheter une ? […]
- Je vais te dire, petit. Tu peux boire une bière si tu veux. Je crois pas que ton père* trouverait à y redire, hein ?
- Je crois pas.
- Mais tu ne peux pas m’en acheter une. Les amis n’achètent pas les choses entre eux.
- Oui, m’sieur.
- Et arrête de m’appeler m’sieur.
- Oui, m’sieur.
Le père de Gary est un véritable alcoolo !
" Quand tu cherches les emmerdes, t'en trouves toujours plus que t'en voulais."
- L'homme bourré ment jamais.
- Vous faites quoi ?
- Tu veux dire quand je fais pas ça ?
- Oui, m'sieur. quand vous faites pas ça ."
Je baise. Je bois. Je joue.
" Je me débrouille, dit-il .
Les flics vacillèrent sous l’assaut de son odeur corporelle. Des poulets morts pourrissant depuis trois jours au soleil ne sentaient pas aussi mauvais.
La souffrance imprégnait si profondément les yeux qu'elle en devenait une couleur.
On peut pas vivre vingt ans avec quelqu’un sans le connaître, comme moi je la connais. Elle va tout le temps à l’église et moi jamais. Elle aime pas être avec des gens qui boivent, elle aime même pas sentir l’odeur de l’alcool. Moi je bois, et j’aime ça. C’est tout. Si t’es obligé de te disputer avec quelqu’un jour après jour, tu finis par en avoir marre de vivre avec lui. Et ça change rien si tu l’aimes.
Le garçon leva son chargement un peu plus haut et lui emboîta le pas.
- Ça a goût de quoi, la bière ? demanda-t-il alors que le vieux s’essuyait la bouche.
- De bière.
- Je sais. Mais ça a goût de quoi ?
- Je sais pas. Merde. Un goût de bière, c’est tout. Pose pas tant de putains de questions. Faudrait que j’engage un type à plein-temps rien que pour répondre à tes questions.
Ils restaient là à les regarder jusqu'à ce qu'elles deviennent minuscules, jusqu'à ce qu'elles s'enfuient en criant par-dessus les cieux, plongent dans les nuages mouvants, leurs voix mourant lentement sur une dernière note, unique preuve de leur passage avec le battement d'aile final qui les engloutissait dans le ciel, dans la terre qui le touchait, dans les pins, toujours verts et constants contre l'immensité sauvage et bleue qui s'étendait au-delà, à jamais.