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62 pages
Rafael de Surtis (17/12/2020)
4.7/5   5 notes
Résumé :
Il s’agit d’un recueil de proses sur la musique (classique et jazz) de Bach à Miles Davis, sur les émotions artistiques en général et aussi sur la folie et l’internement, avec quelques échos et parallèles entre ces thèmes.
C’est un recueil très personnel où Marie-Anne Bruch explore des sentiments et des perceptions que chacun peut connaître à des degrés divers.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Au cours de ma lecture du recueil, j'ai ressenti se développer sereinement, comme si elle avait été quelque peu apprivoisée, une grande force de vivre, dégagée d'un passé difficile, en partie justement grâce aux épreuves traversées. La voix de M.-A. Bruch n'est pas fragile mais volontaire, pugnace, parfois aussi précise qu'un scalpel. Elle semble fragile car elle provient de loin, de l'intérieur de son être, dont elle sait préserver les échos secrets. Une voix qui ne peut plus être brisée. Et qui dit en introduction :

« On m'a dit parfois – non sans une légère nuance de condescendance – que j'étais fragile, ce qui m'a chaque fois donné l'impression d'être un vase en porcelaine qui se fêle au moindre choc et que l'on ne peut manier qu'en prenant d'infinies précautions.
C'est pourtant loin de correspondre à la réalité » (p.12)

Le choix d'intercaler des petits textes sur des compositions musicales entre ces retours sur soi-même, est naturellement motivé par le fait que la musique elle aussi se détache d'une âme et conserve le plus pur témoignage de la force de vie : sa mélodie, son rythme, ses pulsations, son souffle intime. Si chaque morceau se fait l'écho des sentiments éprouvés par l'auteure à telle ou telle période de sa lutte contre (ou avec, ce qui revient, à la fin, au même) la folie, leur ensemble symbolise le terrain même de cette lutte, des mouvements internes de la vie qui se débat là, en ce monde musical où navigue son âme.

Ce que l'on nomme de manière commune ''folie'' (avant de l'enfermer – ou de tenter de la perdre – dans des terminologies plus absconses), M.-A. Bruch l'a traversé, dans sa chair, dans son esprit, elle en a été marquée à vie. Elle a dû apprendre à faire avec, et en chemin s'est aperçue qu' « après être devenu fou, on peut encore travailler, se divertir, rire, s'affliger, écrire, être heureux, vivre. » (p.58)

« Bref, il faut apprendre à vivre pas trop mal. » Car la vie est un combat, une lutte de tous les jours, de tous les instants. Ceux qui ont le luxe de l'oublier n'en sont pas pour autant délivrés.

***

Dans ses appréciations d'auditrice comme dans ses réflexions sur l'univers de la folie, l'auteure atteint toujours à une forme de sagesse humaine, ancrée dans l'humaine condition, partageant à la fois sa misère et sa chaleur, ses restrictions et ses bonheurs simples –
« C'est une musique portée par des élans de joie irrépressible, une joie si intense qu'on pense davantage aux bonheurs de l'amour terrestre qu'à la joie éthérée du divin. On se trouve devant une fenêtre haute par laquelle pénètre un blond rayon de soleil, dans la tiédeur d'un matin d'été, c'est une lumière très pure, qui caresse et réchauffe notre visage, et nous éblouit un peu. »
(sur Liszt, p.27)

Ou encore :
« Mais ces anges ne se présentent pas comme des créatures inaccessibles qui vous jugeraient du haut de leurs sphères célestes, au contraire ils se mettent à votre portée, vous protègent et vous écoutent amicalement, tendrement. »
(sur Mozart, p.19)

D'ailleurs toutes les musiques religieuses communiquent en fait des émotions humaines, comme si M.-A. Bruch les débusquait en profondeur, sous le vernis cérémoniel.

Pourtant, sans se détacher de cette empathie pour la nature humaine, qu'elle sait distiller par petites touches humbles dans son texte, elle est soudain capable d'exprimer des visions d'une acuité intense, non dénuée d'acidité voire de cruauté – sa prose est à double tranchant, comme l'est l'expérience de la vie, les deux revers d'une même médaille :

« (…) on sent que ce quartet a pu être joué par des dandys à monocles et des élégantes à éventails, du temps de la Belle-Epoque, dans des salons du boulevard Saint-Germain, en revenant d'une promenade en calèche au Bois de Boulogne. On pense à Proust, on voit des jeunes filles en robes blanches rire sous les tonnelles, observées à distance respectueuse par des hommes du monde neurasthéniques et rongés par des accès de jalousie morose. »
(sur Fauré, p.33)

***

Ces retours perpétuels à des phases d'écoute musicale tendue, concentrée à l'extrême, résultant en de petits paragraphes solitaires sur la page, renvoient également à la pratique de l'écriture poétique. Tout d'abord pour sa vertu cathartique, son pouvoir d'exorcisme . Quel plus sûr baume contre le désespoir que la musique ? Elle adoucit les moeurs, elle apaise les coeurs meurtris, c'est la suprême consolation, celle qui précède toute intellectualisation – essentielle, on le comprend, à la poursuite de son intégrité morale, à la fragile préservation d'une unité personnelle qui ne se dépare pas de sa singularité, sans sombrer dans le néant.

« J'y entends davantage de transfiguration que d'agonie, d'avantage de consolation que de douleur. (…) On est pris quelque fois dans des tourbillons, on roule sur soi-même, on est sur le point de sombrer mais on est chaque fois sauvé, in extremis, par une lumineuse puissance. »
(Sur Strauss, p.35).

Ensuite comme les écoutes de telle ou telle pièce, l'écoute des fluctuations de sa folie passée est toute intime, doux ruisseaux qui ne débordent jamais sur l'Autre, le préservent de ses propres gouffres – école de respect donc, pour l'Autre comme pour soi-même. Signe que ce recueil développe, sous ses faux airs de flâneur mélomane, le germe d'une éthique poétique essentielle à l'être de la poétesse, toujours en devenir, toujours vibrante, à l'écoute.

Je comprends soudain qu'à un niveau plus enfoui, plus secret, c'est son écoute d'elle-même que M.-A. Bruch nous donne à lire ici, les répons de son être face au problème premier de la liberté que pose le simple fait d'exister, problème pouvant certes mener à la folie, mais qui n'en demeure pas moins posé de tout temps à tout être.

« C'est une musique qui ne s'explique pas plus que les clapotis des vagues ou que le frémissement des feuillages, et qui semble vouloir pousser la liberté dans ses retranchements, au risque de frôler l'errance et la déréliction. »
(sur Ravel, p.43)

Ce risque de fuite totale, de perte irrémédiable, M-A Bruch l'a connue, lors de cette merveilleuse journée à battre la campagne qu'elle décrit aux pp.28-29. C'est le coeur du recueil, le coeur du thème principal qu'elle développe dans la suite de ses petites pièces autobiographiques ou musicales, très subtilement mené, dont on ressort comme de l'écoute d'une composition qui nous a engagé tout entier auprès du combat qui se livre en l'âme d'un autre que soi, mais qui est aussi le nôtre, puisque nous existons. C'est l'ombre de ce combat que je distingue dans le titre du recueil, avant d'être celle de la folie. Une ombre mise, le temps d'une lecture, à ma portée.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Quelques temps après ma première hospitalisation – il y a quinze ans – j’avais croisé par hasard dans la rue une jeune femme que j’avais connue à l’hôpital.
Au moment où je l’ai croisée, je ne délirais plus mais j’étais très tracassée par le contenu de mon ancien délire et très mortifiée d’avoir été enfermée.
Cette rencontre dans la rue avait été pour moi l’occasion de parler de mon expérience délirante à cette jeune femme, et de lui demander ses impressions sur le délire qu’elle avait traversé de son côté.
Elle avait répondu à mes questions avec beaucoup de réticence et je la sentais gênée d’être amenée sur ce sujet.
Elle m’avait tout de même confié que, dans son expérience, elle avait sauvé le monde et que son délire ressemblait à un film fantastique américain.
Au bout de quelques minutes, elle avait écourté notre entrevue et m’avait dit qu’elle espérait que nous parlerions d’autre chose si nous devions nous recroiser un jour.
Je m’étais aperçue, avec surprise, que le contenu d’un délire était une chose intime et honteuse qu’il fallait garder pour soi.
Pourtant, dans mon idée, cette sorte d’expérience était quelque chose de rare qui pouvait nous apprendre quelque chose sur notre esprit, voire même sur le monde.
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Fauré – Quartet n°1 – Allegro (1er mouvement) – 1879

C’est une musique qui allie exaltation et humeur plaintive : on sent un grand chagrin, ou plutôt des envolées successives de chagrin, comme un sanglot qui n’accepte pas de se laisser consoler et qui se force à aller crescendo.
Cette musique possède une grande unité de ton, elle garde son caractère sophistiqué et son raffinement quelles que soient les circonstances.
Quelque chose d’élitiste, de précieux, de hautain, dans ces circonvolutions mélodiques : on sent que ce quartet a pu être joué par des dandys à monocles et des élégantes à éventails, du temps de la Belle Epoque, dans des salons du boulevard Saint-Germain, en revenant d’une promenade en calèche au Bois de Boulogne.
On pense à Proust, on voit des jeunes filles en robes blanches rire sous les tonnelles, observées à distance respectueuse par des hommes du monde neurasthéniques et rongés par des accès de jalousie morose.
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Stabat Mater
Pergolesi - 1736

C'est une musique très intériorisée, qui semble imiter avec exactitude le surgissement dans le coeur d'une envie de pleurer, et qui s'introduit en vous par glissements progressifs, et vous fait dériver au gré de ses méandres.
Quand j'écoute ce morceau, je n'ai aucune vision religieuse ou même aucune image visuelle qui s'impose à moi, aussi pourrais-je dire que cette musique est purement idéale, purement musicale.
Les deux voix, de l'alto et de la soprano, se relayent et se mélangent d'une manière infiniment sensuelle, avec des inflexions d'une tendresse presque irréelle.
Alliance d'humanité et de transcendance, de pitié et de vénération, de chair et d'esprit, cette musique nous emplit d'une affliction heureuse.
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