Sa philosophie alimentaire se résumait à un seul précepte : « Avec beaucoup de sel, beaucoup de sucre et beaucoup de ketchup, tout est mangeable, absolument tout ! »
Un bon journaliste doit aimer les sandwiches et la pizza, qui constituent à eux seuls 90% de son alimentation.
- Enfin, ne soyez pas sotte ! pleurnicha-t-il, je ne veux pas vous tuer, je veux seulement vous couper un doigt. On dirait que je vous demande l’impossible !
Il bâillait déjà, endormi par la digestion. « C’est un vieux, songea Jeanne. Qu’est ce que tu croyais ? qu’il allait t’enlever dans ses bras ? te faire l’amour sur la paillasse entre son casque de scaphandrier et la pompe à air ? Non, il a des plaisirs de son âge : un bon repas, une sieste, une oreille complaisante où il peut déverser ses souvenirs... Un vieux. »
Derrière la fenêtre, le jour baissait. Dans quelques heures la nuit serait là, changeant les règles, ouvrant la porte aux maléfices.
Elle se demandait si elle était simplement victime de la malnutrition ou si sa conscience ne cherchait pas à fuir la réalité de l’incarcération en se réfugiant dans un monde onirique proche de la folie. Elle n’ignorait pas que les psychiatres appelaient cela la divergence mentale. C’était un état schizophrénique dont finissaient par souffrir de nombreux prisonniers.
Au moment où elle enfilait son peignoir, quelqu’un sonna à la porte. C’était Pierrot, il se dandinait d’un pied sur l’autre, une baguette de pain sous le bras.
- C’est ma mère qui m’envoie, dit-il. Tenez, le pain est tout chaud. Vous mangez du pain au moins ?
- Oui, s’étonna Jeanne. Pourquoi ?
- Oh ! parce que les femmes ont toujours peur de grossir. Alors, la plupart du temps, elles se nourrissent de yaourts et s’évanouissent dans le métro.
« Oh ! Oh ! pensa Jeanne en étouffant un sourire. Notre ami Pierrot est, en plus, un fin connaisseur de l’âme féminine. »
La pendaison était-elle douloureuse ? Elle avait lu quelque part qu’on tombait en syncope dès que le sang cessait d’irriguer le cerveau et que l’étouffement survenait ensuite pendant la période d’inconscience, sans souffrance inutile. Était-ce vrai ?
Oui, elle l’avait laissé faire pour se l’attacher, pour lui donner une raison de revenir. Une raison plus importante que la soupe à l’oignon ou le bœuf à la ficelle, car la cuisine n’est pas tout pour les hommes. Il leur faut toujours quelque chose de plus. La chose...
« C’est vrai qu’il est vieux, pensa-t-elle. Il m’a fait l’amour comme à une pucelle. »
Elle décida qu’elle ne dirait rien, qu’elle n’emploierait aucune des expressions passe-partout du genre « c’était bon, et toi tu étais bien ? » les politesses un peu bêtes qu’on se sent toujours forcé de proférer pour se différencier des animaux qui, bien sûr, ne parlent jamais après l’amour.