- Et mère ? Me pardonnera-t-elle ?
- Ne t'inquiète pas. L'amour pour un enfant se donne et ne se reprend jamais. Elle a juste besoin de temps.
Je trouve qu’il y a quelque chose de fascinant dans cette diversité. […]
Aimeriez-vous n’être entourés que de personnes complètement identiques à vous ?
- Aimeriez-vous n'être entourés que de personnes complètement identiques à vous ? demande-t-il.
Romain et Ambroise secouent la tête en même temps.
- Ce serait terrifiant, acquiesce le prince. Il n'y aurait plus d'inconnu. Plus de surprise. Plus d'incertitudes. Plus rien pour nous déranger, nous changer. Nous n'aurions plus besoin de défendre nos avis : nous aurions tous les mêmes. Nous n'aurions même plus besoin d'avoir des avis, d'ailleurs ! Ce serait la fin de ce qui rend chacun de nous unique... et donc absolument indispensables aux autres.
Malgré son souffle court, il poursuit :
- Contrairement à certains penseurs de l’Église, je suis convaincu que la différence est justement le fondement de la société. Elle nous enrichit, nous ouvre, des horizons sans limites. Elle nous permet d'envisager plusieurs chemins, de les jauger et d'ensuite prendre le meilleur. Sans différence, la société stagne, n'évolue plus. C'est la mort assurée.
Tu es mon ami parce qu’avec toi, il n’y a pas de limite à ce qu’on peut vivre, à ce qu’on peut essayer d’être. Je comprends aujourd’hui pourquoi. Mais ça n’enlève rien. Au contraire. Ça t’ajoute le courage. Alors, pour tout ça, tu es et tu resteras mon ami. Quoi que tu sois.
- Je comprends pas qu'tu parles de chez toi comme l'enfer, continue le garçon à la peau d'ébène. T'as tout c'que nous on rêverait d'avoir. T'as un lit, des p'tits pains, des gens qui s'occupent de toi. T'as rien à voler pour le lendemain. Tu dors au chaud quand y caille ou quand le ciel y nous pisse dessus.
Romain se tourne et plonge ses yeux dans les siens.
- Tu as raison, Akou. Mais il me manque une chose. Une seule qui gâche toutes les autres, que vous avez et que moi je n'ai pas.
- Et c'est quoi, ce fameux trésor?
- La liberté.
S'il n'a pas été facile de se dresser contre les Lois de la Norme, il est peut-être plus difficile encore de pardonner à ceux qui n'ont pas eu suffisamment de courage, d'amour, d'inconscience - ou de tout cela à la fois - pour le faire.
-Tu as raison, Akou. Mais il me manque une chose. Une seule qui gâche toutes les autres, que vous avez et que moi je n’ai pas.
- Et c’est quoi ce fameux trésor?
- La liberté.
Nous savons tous, bien sûr, qui sont ces ennemis: ceux que Dieu, dans Son immense bonté, nous avait depuis si longtemps désignés par leurs traits ou leurs esprits si différents des nôtres, par leurs mœurs incompatibles avec la bienséance, les règles de la nature et celles de Dieu. Les anormaux.
Qui sommes-nous, pour décider de ce qui est normal ou pas ? Qui sommes-nous pour décider qui doit vivre dans notre société, et qui ne le doit pas ? Et sous quel prétexte ?
Ceux-là s'arrogent un pouvoir qui ne devrait jamais être à leur portée. Nul ne doit disposer de la vie d'un autre. Et nul ne doit non plus condamner quelqu'un pour ce qu'il est.