Citations sur Rien ne t'efface (119)
Chaque matin, depuis que nous sommes arrivés, j'ai pu espionner ce garçon et sa mère, sans avoir d'explications à donner. Une petite heure, avant qu'ils ne quittent la plage, et que j'aille retrouver Gabriel à l'hôtel.
On ne tombe pas du ciel quand on vient sur terre, on n’est pas déposé par une cigogne. On est attendu, on est accueilli, et dès qu’on ouvre les yeux, on a besoin de milliers de repères pour nous guider.
La ritournelle gagne en intensité, semble s’approcher, sans gagner en qualité, bien au contraire. Je vois enfin apparaître Tom. C’est lui qui joue ! Il se dirige vers le banc, au milieu de la cour de la ferme. C’est d’abord sa solitude qui me frappe, cette étrange inquiétude dans son regard, comme s’il avait été parachuté dans la cour, était tombé d’une lune ou d’une fusée, et que chaque détail l’effrayait. Esteban avait le même regard, une absence, une distance, cette fenêtre ouverte sur une planète où seuls les véritables artistes peuvent s’égarer. Mais Esteban était un enfant aimé, entouré, écouté. J’étais attentive à la moindre de ses qualités. Tom, lui, paraît… abandonné.
A...est une femme soumise, une de ses femmes amoureuses qui ignorent toute leur vie si leur destin de Pénélope, elles le subissent ou le choisissent. Le destin sacrificiel des femmes de marins, de routiers, d'explorateurs ...ou de surfeurs. A mépriser celles incapables de passion, celles incapables de patience, celles qui se contentent du premier homme qui passe, celles qui remplacent, celles qui ne s'ennivreront jamais du parfum épicé des longues étreintes de retrouvailles. Celles qui un jour, quand Ulysse sera enfin rentré à la maison, pourront hurler à la terre entière j'avais raison.
Je savais que le temps travaillerait pour moi ! Je suis le seul médecin dans un rayon de dix kilomètres. Il fallait juste attendre, avec patience, qu’il vienne à moi. Tout ce que j’ai entrepris depuis six mois, quitter la Normandie, traverser la France, m’installer au Moulin de Chaudefour, ouvrir ce cabinet, n’avait qu’un but : que la rencontre se produise.
Esteban aurait vingt ans aujourd’hui.
Esteban aurait été un étudiant brillant, Esteban aurait eu le bac avec mention et on l’aurait fêté en tête à tête dans le plus grand restaurant de la côte basque, aux Jardins de Bakea peut-être, Esteban aurait été champion de natation, les années lui auraient sculpté un corps d’athlète, Esteban aurait continué de jouer de la guitare, Esteban aurait sûrement laissé pousser ses cheveux blonds, Esteban m’aurait pris la main, sur cette plage, le jour de son anniversaire, et j’aurais été tellement fière.
Je dois garder mon calme. Je me le suis promis. Plus de vingt sauveteurs sont à la recherche d’Esteban. Ces hommes font leur travail du mieux qu’ils le peuvent, je dois m’en persuader. Je dois collaborer. Répondre encore et encore. Répéter. Espérer.
On se comprend sans avoir besoin de mettre les points sur les i, ni de les compter, trois suffisent, alignés en suspension… Le reste est affaire de regard, de confiance, de complicité. Aucun homme ne pourra jamais se mettre entre nous ! Je dois garder une place vide dans mon lit, pour Esteban, quand il me rejoint à l’aube. Jamais aucun amant ne pourra me réveiller un matin avec un je t’aime aussi cristallin.
Esteban me sourit, de ce sourire irrésistible de Petit Prince qui ferait craquer n’importe quelle maman. Ses yeux clairs pétillent d’une minuscule tristesse, comme une égratignure du cœur. Je passe ma main dans ses cheveux blonds pour le consoler, pour les ébouriffer un peu aussi. Je l’adore ainsi, mon Petit Prince. Mi-rêveur, mi-rebelle. Et je bénis chaque soir, sur mon balcon, quand Esteban dort d’un sommeil de bébé, l’astéroïde dont il est tombé.