Un livre est comme un jardin que l'on porte dans sa poche.
Franchement, la maison est moche.
Ce n’est pas gentil de dire ça, alors que maman vient à peine de se garer devant, mais c’est vrai. Elle ressemble à un pâté : sa façade est couverte de pierres brunâtres et on dirait qu’elle dégouline, tant le jardin qui l’encercle est boueux. Le seul détail qui me plaît, c’est une fenêtre ronde au premier étage – un œil-de-bœuf, si je me souviens du bon terme. Je me demande ce qu’elle fait là : elle ne va pas du tout avec les autres.
— Et voilà, les filles ! lance maman.
Elle déboucle sa ceinture. Le déclic du mécanisme résonne dans l’habitacle.
— Tout le monde descend, ajoute-t-elle avec entrain. Je vais vous faire visiter. On retournera chercher les valises après !
Quand elle ouvre la porte, un courant d’air tiède s’engouffre dans la voiture, charriant l’odeur aigrelette et fade des feuilles mortes. Ni Sandra ni moi ne bougeons d’un pouce.
— Il y a quatre chambres à l’étage, poursuit maman en attrapant son sac à main. Vous aurez chacune la vôtre. Le grand luxe, non ?
Devant moi, ma sœur reste de marbre, mais je vois sa nuque se raidir. J’imagine sans peine son expression : mâchoires serrées au maximum, regard braqué sur le pare-brise. Elle n’a pas décroché deux mots depuis le début du voyage.
— Les filles ?
Sandra a beau avoir souffert du déménagement, elle a réussi à s'intégrer en quelques semaines. Alors pourquoi pas moi? Nous avons grandi dans la même chambre, dans les mêmes conditions. Pourquoi ma sœur s'épanouit-elle comme une fleur magnifique alors que je reste au stade de graine, incapable de faire pousser une feuille?
Juste trois lignes... Facile à dire. Les mots ont toujours été fuyants avec moi. Indociles, méfiants. J'ai du mal à les dire. Je les écris avec peine. Alors écrire un poème...
Je me détourne du tableau. J'ai la tête qui tourne : les traits de craie s'emmêlent dans mon esprit comme des fils échappés d'une bobine. C'est toujours la même chose quand j'essaie de lire trop longtemps.
Derrière le bocal
Flottent les appels du poisson
Lui et moi - même langage.
Souvent, il me semble que la nuit est encore plus vivante et colorée que le jour.
Une énergie fluide et lumineuse m'envahit de la tête aux pieds. Je me sens soudain plus joyeuse, plus légère que je ne l'ai jamais été depuis des mois. Libre...
je donnerais tout pour être normale - complète. Mais j'ai l'impression que les trois quarts de ma personnalité restent scellés derrière mes lèvres, mes yeux baissés, mon corps raide. Sous verrou...
Sandra a beau avoir souffert du déménagement, elle a réussi à s'intégrer en quelques semaines. Alors pourquoi pas moi ? Nous avons grandi dans la même chambre, dans les mêmes conditions. Pourquoi ma soeur s'épanouit-elle comme une fleur magnifique alors que je reste au stade de graine, incapable de faire pousser une feuille ?