-Tu veux te manger un peu de pain de froment ? Je l'ai sorti du four y a pas une heure. Je te l'assaisonne ?
Sans attendre la réponse, elle coupa deux tranches d'une miche, les assaisonna d'huile d'olive, sel, poivre noir et pecorino, les mit l'une sur l'autre, les lui tendit.
Montalbano sortit, s'assit sur un banc à côté de la porte, et à la première bouchée, se sentit rajeunir de quarante ans, il redevint minot, c'était le pain comme le lui assaisonnait sa grand-mère.
Naturellement, il ne fut pas choisi par Montalbano qui, au contraire, décida de couper l'île par le travers, pour se retrouver ainsi à parcourir, dès les premiers kilomètres, des petites routes le long desquelles les paysans survivants interrompaient la besogne pour regarder ébahis, cette auto hasardeuse qui passait par là. Ils en parleraient à la maison avec leurs enfants :
- U sapiti stamatina ? Tu sais quoi, ce matin ? Une automobile passa !
Mais c'était la Sicile qui plaisait au commissaire, âpre où le vert était rare, sur laquelle il semblait (et il était) impossible de vivre et où il y avait encore des hommes, mais de moins en moins avec les guêtres, la casquette et le fusil à l'épaule qui le saluaient depuis le dos de leur mule en se portant deux doigts à la visière.
Elle fit une pause, regarda la mer et soupira.
- Pauvre enfant, dit-elle à mi-voix.
Montalbano, un instant, fut ému. Le vaste bassin de Vénus. Cette extraordinaire capacité toute féminine de comprendre en profondeur, de pénétrer les sentiments, de réussir à être à la fois mère et amante, fille et épouse. Il posa sa main sur celle d'Anna, elle ne la retira pas.
- Vous savez qu'il a disapru ?
-Oui, je sais. Le même soir que Michela. Mais...
-Commissaire, je peux vous parler sincèrement ?
-Pourquoi, qu'avons-nous fait jusqu'à présent ? Et faites-moi une faveur, appelez-moi Salvo.
-Si vous m'appelez Anna.
-D'accord.