Citations sur Le Premier Homme (248)
Ni sa mère ni son oncle ne parlaient plus des parents disparus.Ils continuaient de vivre de la nécessité, bien qu'ils ne fussent plus dans le besoin, mais l'habitude était prise, et aussi une méfiance résignée à l'égard de la vie, qu'ils aimaient animalement mais dont ils savaient par expérience qu'elle accouche régulièrement du malheur sans même avoir donné de signe qu'elle le portait.
...ils avaient trouvé leur camarade...il avait été égorgé et, dans sa bouche, cette boursouflure livide était son sexe entier... Cormery avait pris son air buté "Un homme ne fait pas ça... Non, un homme ça s'empêche. Voilà ce qu'est un homme, ou sinon... Moi, je suis pauvre, je sors de l’orphelinat, on me met cet habit, on me traîne à la guerre, mais je m'empêche"...Il y a des Français qui ne s'empêchent pas, avait dit Levesque..."Alors, eux non plus, ce ne sont pas des hommes."
La mémoire des pauvres déjà est moins nourrie que celle des riches, elle a moins de repères dans l'espace puisqu'ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d'une vie uniforme et grise.
L'enfant, pris entre les deux déserts de l'ombre et du soleil, se mettait à tourner autour de la table sans trêve, du même pas précipité, en répétant comme une litanie : "Je m'ennuie ! Je m'ennuie !". Il s'ennuyait, mais en même temps il y avait un jeu, une joie, une sorte de jouissance dans cet ennui, car la fureur le prenait en entendant le "A benidor" de la grand-mère enfin revenue.
À soixante-cinq ans, chaque année est un sursis. Je voudrais mourir tranquille, et mourir est effrayant. Je n'ai rien fait.
L'honneur du monde pour moi vit chez les opprimés, non chez les puissants. Et c'est là seulement que gît le déshonneur. Quand une fois dans l'histoire un opprimé saura ...
Mon fils, disait elle, tu étais loin. Et puis, tout de suite après, détournée, elle retournait dans l'appartement et allait s'asseoir dans la salle à manger qui donnait sur la rue, elle semblait ne plus penser à lui ni d'ailleurs à rien, et le regardait même parfois avec une étrange expression...
Mais la lecture lui permettait de s'échapper dans un univers innocent où la richesse et la pauvreté étaient également intéressantes parce que parfaitement irréelles.
Il y avait un mystère chez cet homme, un mystère qu'il avait voulu percer. Mais finalement il n'y avait que le mystère de la pauvreté qui fait les êtres sans nom et sans passé, qui les fait entrer dans l'immense cohue des morts sans nom qui ont fait le monde en se défaisant pour toujours.
Ainsi, pendant des années, la vie de Jacques se partagea inégalement entre deux vies qu’il ne pouvait relier l’une à l’autre. Pendant douze heures, au son du tambour, dans une société d’enfants et de maîtres, parmi les jeux et l’étude. Pendant deux ou trois heures de vie diurne dans la maison du vieux quartier, auprès de sa mère qu’il ne rejoignait vraiment que dans le sommeil des pauvres. Bien que la plus ancienne de sa vie fût en réalité ce quartier, sa vie présente et plus encore son avenir étaient au lycée. Si bien que le quartier, d’une certaine manière, se confondait à la longue avec le soir, le sommeil et le rêve.