Citations sur Le Premier Homme (248)
Oui,il était un homme,il payait un peu ce qu'il devait,et l'idée d'avoir diminué un peu la misère de cette maison l'emplissait de cette fierté presque méchante qui vient aux hommes lorsqu'ils commencent de se sentir libres,et soumis à rien.Et en effet,à la rentrée qui suivit,lorsqu'il entra dans la cour de seconde,il n'était plus l'enfant désorienté qui quatre ans auparavant quitté Belcourt dans le petit matin,chancelant sur ses chaussures cloutées,le coeur serré à l'idée du monde inconnu qui l'attendait,et le regard qu'il posait sur ses camarades avait perdu un peu d'innocence.
Elle tenait son tablier d'une main, et essuyait ses yeux. "j'ai oublié...vous m'avez dit que vous donneriez des cours supplémentaires à Jacques. - Bien sur, dit M. Bernard. Et il ne va pas s'amuser croyez-moi. - Mais nous ne pourrons pas vous payer." M. Bernard la regardait attentivement. Il tenait Jacques par les épaules. "Ne vous en faites pas", et il secouait jacques, "il m'a déjà payé".
Il n'avait connu jusque-là que les richesses et les joies de la pauvreté. Mais la chaleur, l'ennui, la fatigue lui révélaient sa malédiction, celle du travail bête à pleurer dont la monotonie interminable parvient à rendre en même temps les jours trop longs et la vie trop courte.
(le contexte : le petit Jacques travaille dans un bureau pendant ses vacances scolaires du lycée pour améliorer un tant soit peu le quotidien de la famille)
La mémoire des pauvres est déjà moins nourrie que celle des riches, elle a moins de repères dans l’espace puisqu’ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d’une vie uniforme et grise.
Une défiance résignée à l’égard de la vie, qu’ils aimaient animalement mais dont ils savaient par expérience qu’elle accouche régulièrement du malheur sans même avoir donné de signes qu’elle le portait.
Mais le hasard n'est pas le plus mauvais aux choses de la culture, et, dévorant tout pêle-mêle, les deux goinfres avalaient le meilleur en même temps que le pire, sans se soucier d'ailleurs de rien, et ne retenant à peu près rien en effet, qu'une étrange et puissante émotion qui, à travers les semaines, les mois et les années, faisait naître et grandir en eux tout un univers d'images et de souvenirs irréductibles à la réalité où ils vivaient tous les jours, mais certainement moins présents pour ces instants ardents qui vivaient leurs rêves aussi violemment que leur vie.
"Jacques, mets la table, pour la troisième fois." Il mettait enfin la table, le regard vide et décoloré, un peu hagard, comme intoxiqué de lecture, il reprenait son livre comme s'il ne l'avait jamais abandonné. "Jacques, mange" il mangeait enfin une nourriture qui, malgré son épaisseur, lui semblait moins réelle et moins solide que celle qu'il trouvait dans les livres, puis il débarrassait et reprenait le livre.
Il y a des êtres qui justifient le monde,
qui aident à vivre par leur seule présence.
Un enfant n’est rien par lui-même, ce sont ses parents qui le représentent. C’est par eux qu’il se définit, qu’il est défini aux yeux du monde. C’est à travers eux qu’il se sent jugé vraiment, c’est-à-dire jugé sans pouvoir faire appel.
« C’était la guerre, disait Vieillard.
- Soyons justes, ajoutait le vieux docteur, on les avait enfermés dans des grottes avec tout la smalah, mais oui, mais oui, et ils avaient coupé les couilles des premiers Berbères, qui eux-mêmes… et alors on remonte au premier criminel, vous savez, il s’appelait Caïn, et depuis, c’est la guerre, les hommes sont affreux, surtout sous le soleil féroce. »