Sentir ses liens avec une terre, son amour pour quelques hommes, savoir qu'il est toujours un lieu où le cœur trouvera son accord, voici déjà beaucoup de certitudes pour une seule vie d'homme. Et sans doute cela ne peut suffire. Mais à cette patrie de l'âme tout aspire à certaines minutes. « Oui, c’est là-bas qu’il nous faut retourner ». Cette union que souhaitait Plotin, quoi d’étrange à la retrouver sur terre ? L'Unité s'exprime ici en termes de soleil et de mer. Elle est sensible au cœur par un certain goût de chair qui fait son amertume et sa grandeur.
Mais Alger, et avec elle certains milieux privilégiés comme les villes sur la mer, s'ouvre dans le ciel comme une bouche ou une blessure.
J'ai toujours eu l'impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d'un bonheur royal
‘’La mer au plus près (L’été)’’
Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure
Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. À certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. À peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller s'accroupir dans la mer.
''Noces à Tipasa''
L'homme n'est pas entièrement coupable: il n'a pas commencé l'histoire; ni tout à fait innocent, puisqu'il la continue.
A midi, sous un soleil étourdissant, la mer se soulève à peine, exténuée. Quand elle retombe sur elle-même, elle fait siffler le silence. Une heure de cuisson et l'eau pâle, grande plaque de tôle portée au blanc, grésille. Elle grésille, elle fume, brûle enfin. Dans un moment, elle va se retourner pour offrir au soleil sa face humide, maintenant dans les vagues et les ténèbres.
Je ne voudrais pas être brutal ni paraître exagéré. Mais enfin, ce qui me nie dans cette vie, c'est d'abord ce qui me tue. Tout ce qui exalte la vie, accroît en même temps son absurdité. Dans l'été d'Algérie, j'apprends qu'une seule chose est plus pratique que la souffrance et c'est la vie d'un homme heureux. Mais ce peut-être aussi bien le chemin d'une plus grande vie, puisque cela conduit à ne pas tricher.
Ceux qui s’aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n’est pas le désespoir : ils savent que l’amour existe.
Il est bien vrai que nous sommes dans une époque tragique mais trop de gens confondent le tragique et le désespoir.
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