Paranoïdes poils
La moustache est un grand livre sur la paranoïa qui commence par une très bonne idée sur laquelle il n'y a plus qu'à dérouler le fil.
Quand le réel se délite, que le hiatus entre vos croyances et le commun concret se met à béer comme un gouffre, toutes les hypothèses, les explications, les complots vous assaillent. Pour une simple histoire de moustache, pierre angulaire de votre santé mentale, l'enquête sans fin commence et si elle ne trouve pas de résolution, la folie autodestructrice, comme un rasoir sur votre visage, vient s'emparer après l'exil de votre raison falsifiée.
Qui est responsable de cette moustache qui eut ou non jamais existé ? le cerveau malade du héros ou les affabulations d'un entourage hostile ligué contre lui. A-t-il véritablement porté un jour
la moustache ? La question est sans réponse pour le lecteur mais lui a fait son choix, s'en est laissé envahir et détruire au lieu de l'abandonner au rencard des convictions folles et d'oublier cette mésaventure de l'esprit à tout jamais.
Le plus intéressant dans le livre est toute la partie où il cherche qui est responsable de la blague ou du mensonge et comment cela s'agence dans la ligue qui veut s'amuser de lui ou lui nuire. Il faut bien admettre qu'il y a de quoi devenir fou. Comment ne pas savoir si l'on portait ou non
la moustache, quel est le maître de sa propre raison, vous ou les autres ?
Pour conclure, un petit roman qui ouvre des questions vertigineuses sur les curseurs sociaux, l'estime de soi et la confiance qui s'y rapporte, le jusqu'au boutisme de l'incompréhension et la précarité du basculement dans la folie.
Je ne sais pas ce que Carrère a voulu dire avec
La moustache ! Si c'est un simple exercice de style ou si c'est quelque chose de plus élaborée. Je pencherais pour la seconde hypothèse.
Voici ce que m'inspire profondément le livre : le meilleur moyen de vivre mille vies est de n'en avoir aucune et après les avoir vécues se finir à l'alcool comme
Patrick Juvet.
Samuel d'Halescourt