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Dès les premières pages, ce roman irlandais est étrange : en exergue, un extrait de dictionnaire, l'entrée « sirène », puis une citation d'un auteur anglais du XIXème ( George Eliot pour Silas Marner ) évoquant la perte d'anges, remplacés par de petits enfants pour guider les hommes loin de la destruction d'une cité, et enfin la voix d'un père inquiet qui scrute son bébé fille à la recherche de caractéristiques physiques qu'elle aurait héritées de lui ou de sa mère, s'attardant sur sa bouche en disant que « c'est là que le monde commencera ou finira. » le texte conservera son étrangeté jusqu'à la dernière ligne.

La construction en trois arcs narratifs est extrêmement lisible : la voix du père, le docteur Jonathan Murray à la première personne ; la voix d'un autre père, Sammy Agnew, un ancien paramilitaire loyaliste ; des intermèdes présentant de courtes histoires d'enfants aux pouvoirs très spéciaux. le décor est lui aussi très lisible : 2014, seize ans après la guerre civile surnommée les Troubles, Belfast en flamme est en proie au chaos depuis qu'un Lanceur de feu exhorte la population à allumer de gigantesques brasiers urbains.

Cette lisibilité est cependant brouillée par le manque de connexion immédiatement évident entre tous ses éléments disparates. Brouillé aussi par le recours à un réalisme magique qui pourrait provenir d'un autre livre avec ces enfants particuliers qu'on verrait bien accompagner Miss Peregrine. Jan Carson peine à trouver un équilibre intellectuellement satisfaisant, et pourtant ça marche ! J'ai été totalement captivée par la puissance du récit.

Sammy et Jonathan, bien que très dissemblables du point de vue de la personnalité et de l'origine sociale, sont remarquablement caractérisés. Deux êtres profondément seuls, tourmentés, terrifiés par leur progéniture, chacun persuadé que leur enfant est porteur de malheur : Sammy voit en son fils Mark le Lanceur de feu à l'origine du tumulte pyromane qui s'abat sur Belfast ; Jonathan pense que son bébé Sophie est une sirène - comme sa mère qui s'est envolée à sa naissance – et sa voix une redoutable menace pour l'humanité, au point de songer à lui couper la langue.

Les thèmes de la paternité rejoint celui de la culpabilité et de la transmission de la violence avec une profondeur très impressionnante qui raconte l'Irlande du Nord d'aujourd'hui et Belfast, ville dans laquelle « la vérité est un cercle vu d'un côté et un carré vu de l'autre. On risque la cécité à force d'en regarder fixement la forme. » Ayant opposé républicains nationalistes catholiques et loyalistes unionistes protestants, la guerre civile a beau être terminé depuis les accords du Vendredi saint de 1998, elle est toujours présente dans les os, dans la chair, dans les esprits au point que la violence semble inextirpable, «  une chose qui se transmet, comme les maladies cardiaques ou le cancer » , une maladie que les parents ont transmis à la génération suivante. Sammy pense l'avoir transmise à son fils, lui qui durant les Troubles a commis des atrocités contre des catholiques sans prétexte idéologique, juste mu par la satisfaction d'une pulsion criminelle.

On est en pleine tragédie antique ou shakespearienne avec des pères en proie à des dilemmes existentiels. Dans cette quête des origines du Mal, comment stopper l'engrenage de la violence ? Faut-il protéger l'enfant ou la société ? le lecteur est perturbé par l'exposition des instincts des personnages prêts à commettre des actes d'autant plus terrifiants qu'on doute de leur santé mentale et de leur capacité à bien juger la menace que constituerait leur enfant. Mark, le fils de Sammy, n'est peut-être pas le Lanceur de feu ; Sophie, la fille de Jonathan, n'est peut-être pas une sirène ; les pères juste paranoïaques, rendus fous par la résurgence possible de la violence.

Porté par une plume brillante, la fois énergique et poétique, ce roman incarne avec beaucoup de force et d'originalité le bouillonnement souterrain d'une Irlande du Nord qui pourrait exploser à nouveau avec le Brexit et la question de ses frontières.
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Jan Carson recrée le Belfast des années 2014, dévoré par les flammes des Grands Feux, hanté par des silhouettes rendues fantasmagoriques par la lumière rougeoyante. Elle mêle des éléments du conte au réalisme, écrit la ville méconnaissable, s'attarde alternativement sur les inquiétudes et les pensées de deux pères craignant pour le devenir de leurs enfants, dangereux croient-ils – chacun à leur façon. Malgré tout, ces trois récits se disputent la scène sans qu'un lien vraiment tangible ne se matérialise ni qu'un véritable équilibre parvienne à se définir... (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2021/10/05/les-lanceurs-de-feu-jan-carson/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Il arrive parfois, et c'est sans doute la marque des meilleurs livres, que la lecture, loin d'être simple exercice et plaisir spirituel, s'empare de votre corps au fil des pages, l'engage pleinement dans son travail, devienne aussi, et tyranniquement, l'affaire des tripes. le roman de Jan Carson, premier texte d'elle traduit en français, accomplit cet exploit, n'offrant à qui le découvre que peu d'échappatoires à l'identification, l'invitant à partager le faisceau d'émotions, d'anxiété et de terreur, des deux protagonistes, jusqu'à, quelquefois, l'insoutenable… A Belfast, au cours de l'été 2014, la ville brûle. de Grands Feux sont allumés par des mains inconnues, bien avant les bûchers traditionnels du mois d'août, détruisant des lieux symboliques, faisant resurgir les pires souvenirs de la période des Troubles, la terrible guerre civile confessionnelle achevée, par un accord politique bien fragile, une vingtaine d'années auparavant. Tandis que la panique gagne la cité, que pompiers et policiers sont mobilisés pour calmer les flammes et trouver les coupables, deux hommes découvrent, dans leur condition de père de famille, le pire des cauchemars. Jonathan Murray, médecin dans un centre de santé et jeune père, depuis quelques semaines, d'une adorable petite Sophie, ne peut s'empêcher d'être hanté par le souvenir de la mère du bébé et de ses pouvoirs de manipulation, craignant que l'enfant n'hérite de ces facultés magiques, qui la transformeraient en véritable danger pour l'humanité. de son côté, Sammy Agnew, un ancien paramilitaire protestant, est convaincu d'avoir reconnu dans le « Lanceur de feu » s'exhibant sur une vidéo de propagande son propre fils, Mark, effrayé par l'idée d'avoir légué à celui-ci la part la plus sombre de sa personnalité. Bouleversés par le poids de leurs responsabilités parentales, rongés par la culpabilité, leurs coeurs déchirés entre leur amour paternel et leur souci d'autrui, ils s'emploient l'un et l'autre à tenter l'impossible, empêcher l'extension de la violence tout en protégeant leur enfant, une quête douloureuse qui les amènera finalement à se rencontrer… Au-delà de ce double drame, mêlant le fantastique à la réalité la plus crue, dans une tonalité qui évoque les meilleures tragédies shakespeariennes, au-delà de la puissance poignante d'un texte qui vous secoue, comme nous l'avons déjà dit au début de cette chronique, de la première à la dernière page, le roman, utilisant avec habileté l'alternance des points de vue et l'insertion fréquente de petites anecdotes mettant en scène d'autres enfants étranges, offre aussi le flamboyant portrait d'une ville, Belfast, minée par les haines anciennes et la lourdeur des silences… Et si, parfois, comme nous le montre Jan Carson avec un tel brio, l'écriture était le meilleur moyen de nous rappeler que parole et dialogue sont les plus efficaces des vecteurs de paix ?
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"Nous sommes à Belfast", au mois de juin 2014. L'été se met doucement en place, les habitants du quartier Est de la ville, encerclés par le bitume, espèrent bien pouvoir sortir leur barbecue, siroter quelques bières biens fraiches et bronzer sous le soleil, alors que la Coupe de Monde de football bat son plein.
Tout semble idyllique sauf que cette année, il semblerait que le spectre de la Guerre Civile (1968-1998) ait décidé de se mêler à la fête.
Sur Internet, une vidéo inquiétante tourne en boucle : on y voit une silhouette masquée, inquiétante, portant le masque de Guy Fawkes, exhortant la population à mettre la ville à feu et à sang. Cette mystérieuse personne se fait d'ailleurs appeler... le lanceur de feu.
Sauf qu'il ne s'agit pas des traditionnels feux allumés la nuit du 11 juillet pour accueillir la parade des Orangistes du 12. Non. Il est beaucoup trop tôt dans la saison, nous ne sommes qu'en juin. Et même si leur beauté est surprenante, ces feux dangereux qui sont déclenchés sans être annoncés ne présagent rien de bon. Ils témoignent d'un malaise profond de la population, qui trouve dans la pyromanie un acte fort de désobéissance civile. La machine se met en place : sirènes des pompiers, médias couvrant les évènements, politiques s'en mêlant et ajoutant leur petit commentaire bien senti, jusqu'à l'intervention de la police, qui il faut bien l'admettre, est dépassée par l'agilité des pyromanes.
Semaine après semaine, alors que la ville étouffe sous la fumée, la tension monte en flèche. Orchestré par le Lanceur de feu, le chaos enfle et menace de faire sombrer Belfast...

Au milieu de ce brasier à ciel ouvert, dans cette ville instable où tout semble être un paradoxe, évoluent Jonathan et Sammy. le premier est un médecin qui vit à Belfast mais ne l'habite pas : il ne sait rien de cet endroit - il a déjà tant à faire avec ses milliers d'angoisses et de peurs, de sa solitude et surtout, de sa fille Sophie, qu'il a découverte un matin abandonnée dans le lavabo de son appartement, après la fuite nocturne de sa mère, désormais introuvable... le second, Sammy, est un ancien paramilitaire loyaliste, marié et père de trois enfants dont l'aîné, Mark - il en est maintenant persuadé - est le Lanceur de feu de la vidéo.
Bon courage les gars!

L'ouverture de ce roman est grandiose. Elle se fait en trois étapes, fondamentale pour la suite du livre, mêlant l'étrange à la puissance narrative de l'auteure.
Pour commencer, un mot. Un mot qui est un univers : "sirène". Et deux entrées : la sirène, c'est à la fois ce long signal sonore utilisé comme moyen d'alerte et ces femmes mythologiques qui séduisent les marins de leur voix jusqu'à causer leur perte. Curieuse cette entrée en matière. Rapidement, on comprend que chacune de ces sirènes est une épée de Damoclès au dessus de la tête de nos personnages : Jonathan, en pleine nuit de service, est appelée par une mystérieuse inconnue "en train de mourir". Il a l'intuition que c'est un piège, mais ne peut refréner sa pulsion d'y aller. C'est trop tard, dès le premier regard il est ensorcelé, séduit par la voix de cette Sirène, qui lui donnera une fille avant de disparaître - une fille, ou une Sirène? Sammy, quant à lui, sait que les sirènes d'alerte qu'il entend nuit et jour, qui le harcèlent, sont la conséquence des actes de son fils. Ces sirènes le ramènent à la guerre civile, lorsqu'il se battait dans les rues de la ville. Elles le ramènent à son propre passé, sa propre violence, qui sommeille en lui et tente de refaire surface.
Ces deux pères, terriblement seuls, savent que leur progéniture va un jour ou l'autre causer d'infinies souffrances. Ils sont soumis à ce combat interne, cet aller-retour entre la protection égoïste de leur descendance - après tout, ils sont le père d'un.e enfant, leur moi biologique les poussent envers et contre tous à les protéger - et la défense du bien commun (thème d'une incroyable actualité!). Mais sont-ils les seuls responsables? Doit-on seulement aller chercher du côté de l'héritage génétique? Une piste forte, certainement, qui revient souvent : "elles sont leur mère et leur grand-mère avant elles" ou "une sorte de violence héritée de la génération précédente". Mais ne faut-il pas aussi aller voir les conséquences et la responsabilité de Belfast - qui est le véritable protagoniste de l'histoire. Belfast, par toute sa complexité et son histoire, sa paix fragile et son destin brumeux, n'est-elle pas directement responsable du comportement de ses habitants? Un enfant de Belfast peut-il se sortir de ses tentacules? "C'est la ville qui ne les laissera partir ni l'un ni l'autre". Ainsi ce roman est un gigantesque et superbe questionnement sur l'héritage familial et socio-culturel, dans cette ville à la fois étrangement attrayante et effrayante. Ses habitants aiment la fuir, mais invariablement, ils y reviendront, car ils ne peuvent vivre autre part. Il ne peut en être autrement.

Jonathan parviendra-t-il a "[s]'enseigner en [sa fille]" afin qu'elle ne devienne pas, comme sa mère, une Sirène? Il en a conscience, et le formule dans cette magnifique phrase : "Ta bouche, c'est là que le monde commencera ou finira." Saura-t-il trouver une alternative à cet horrible plan qui s'impose à lui dès les premiers mois de vie de la petite Sophie : inciser et couper cette langue au scalpel afin de la priver de la parole et sauver le monde ? Quant à Sammy, et sa femme : est-il encore possible de sauver leur fils Mark, qui paraît déjà bien loin idéologiquement. Ce gosse semble inatteignable, hors de portée, alors qu'il vit encore sous leur toît... Face à ces enjeux colossaux, ces deux personnages mémorables vont devoir lutter pour la préservation de leur descendance, dans une ville éblouissante où tout peut arriver, même le plus inimaginable, le plus inavouable...

Tout en nuances et avec un panache remarquable, ce grand roman marque, en cette 20ème année d'existence de la maison Sabine Wespieser, l'entrée d'une nouvelle auteure irlandaise dans ce catalogue qui en compte désormais de très grandes : Edna O'Brien, Claire KEegan, Nuala O'Faolain. Une entrée fracassante, singulière, énergique. Bienvenue à vous Jan Carson.
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Jan CARSON. Les lanceurs de feu.

Ce roman se déroule à Belfast, ville martyre, profondément marquée par de violents conflits entre les deux communautés, les catholiques et les protestants. Au cours de l'été 2014, la canicule pèse sur le pays. Il existe une tradition, lors de la parade orangiste du 12 juillet, les émeutiers élèvent de gigantesques brasiers qui illuminent la ville et détruisent des quartiers, en toute illégalité. Ils ne respectent pas les consignes de sécurité, limitant la hauteur de ces feux et occasionnent des incendies criminels.

le docteur Jonathan Murray, la trentaine, élève seule sa petite fille, Sophie qu'il a eu avec une femme-sirène. Je demeure sceptique face à cette naissance et au devenir de cette enfant… Pour lui, tout passe par la parole et il envisage même d'opérer sa petite fille afin de ne pas divulguer la vérité. Mystère, ésotérisme, rêve, réalité, tout se mêle, s'emmêle, s'entremêle et les fils sont si ténus que je ne parviens à saisir le moindre brin pour démêler la trame.

Quel sera l'avenir de ces êtres plus ou moins abandonnées, oubliés sur le chemin. Afin de cerner un peu plus sa fille, des dons de guérison, Jonathan va jusqu'à consulter le Dr Kinari, qui soigne « les enfants infortunés », des enfants présentant des particularités physiques exceptionnelles, ayant également des pouvoirs surnaturels rares. Nous trouvons l'enfant volant, celui qui nage dans l'air…Je suis hébétée face à tous ces aveux.

Sammy Agnew, la quarantaine a vu son fils aîné sombrer dans la délinquance. Il l'a reconnu sur des vidéos circulant sur la toile et montrant le lanceur de feu. Il ne sait à qui confier ce mystère et cette reconnaissance : il va en consultation chez le Docteur Murray. Ces deux hommes ont chacun un énorme secret.

Je n'ai pas réussi à intégrer ce récit, basé cependant sur des faits historiques mêlant de la science-fiction. Peut-être suis-je passée à côté d'un roman important. J'ai mis plus de quinze jours pour le lire. C'est étrange comme atmosphère. Les personnages se croisent. le réel flirte avec l'invraisemblable, l'indicible. Ce genre littéraire n'est pas ma tasse de thé. Les qualités littéraires, écriture, description des lieux et des personnages sont bonnes mais la trame est complexe, entre ces faits historiques avérés et ces êtres fantastiques, magiques, légendaires ayant des pouvoirs surnaturels me désarçonnent. Mystère, ésotérisme, rêve, réalité, tout se mêle, s'emmêle, s'entremêle et les fils sont si ténus que je ne parviens à saisir le moindre brin pour démêler le canevas. Je ne peux me permettre, ni de conseiller cette lecture, ni de la déconseiller. Je suis neutre, et demeure mesurée dans ma notation. J'attribue la moyenne. ( 12/12/2021)

Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Les événements en Irlande du Nord sont un prétexte : ce que nous offre Jan Carson, c'est un roman original et très puissant sur la paternité… et la peur de ses propres enfants. Si elle use de bizarreries et notamment de cette incroyable métaphore des enfants « aux pouvoirs spéciaux », c'est pour mieux nous ramener à la réalité émouvante et parfois brutale de la parentalité. de quoi verser une petite larme à la fin (ça fait du bien)…
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Très beau roman, évocateur pour tous les parents. Comment canaliser, gérer son amour aux différents âges de nos enfants. Jusqu'où doit on aller ? le faisons nous bien ou mal ? Sur un décor très gris, Belfast dans le roman, mais nos décors quotidiens sont ils plus ensoleillés ? Plus de questions posées que de réponses apportées.
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Ce roman nous transporte en 2014 à Belfast lors d'un été caniculaire. Chaque année en juillet se déroulent, dans toute l'Irlande du Nord « The Twelfth » (le douze) , les commémorations du douze juillet, souvenir de la bataille de la Boyne. Celles-ci donnent souvent lieu à des affrontements et à des feux qui sont d'habitude relativement vite circonscrits. Les Troubles sont loin mais encore bien présents dans les mémoires.

Le roman démarre en juin, en même temps que les feux, avec un peu d'avance et nous comprenons vite qu'ils ont cette année-là une dimension particulière.

Nous faisons la connaissance de deux hommes : Jonathan, médecin, père célibataire un peu paumé d'une petite Sophie et Sammy, marié, père de trois enfants. le roman les suit de façon alternée mais très vite (sur les conseils de ma libraire préférée, je n'avais pas lu la quatrième de couverture), on devine que ces deux-là vont être amenés à se rencontrer.
Les deux, pour des raisons différentes, sont des taiseux. Mais ils se reconnaissent comme pères impuissants à maîtriser le devenir de leur enfant. Jonathan craint que sa fille n'ait hérité des pouvoirs maléfiques de sa mère à manipuler les autres et ne fasse à son tour le mal autour d'elle. Samuel est lui convaincu d'être le père du Lanceur de feu, celui qui embrase Belfast.

C'est un livre sur la paternité, sur la responsabilité des pères, ce qu'ils transmettent à leur enfant, de façon consciente et surtout inconsciente. C'est un roman sur la culpabilité qui les transperce et les rend impuissants. Et en toile de fond, nous avons Belfast et ses vieux conflits (confessionnels et économiques), ses démons, incarnés par les croyances que l'on dissimule, les enfants infortunés (qui apparaissent comme par enchantement en filigrane).

L'écriture nous plonge dans une ambiance apocalyptique (les phénomènes météo se déchaînent) qui ne fait que mettre en lumière la rage et le désespoir de ces pères prêts à tout pour se faire pardonner leurs errements passés.

L'autrice nous prend dans les filets de cette écriture parfaitement maîtrisée. Il y avait longtemps que la lecture d'un livre ne m'avait autant touchée jusqu'à ressentir physiquement certaines des choses décrites. C'est poignant, puissant et à découvrir sans tarder !!
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Dernier titre découvert lors de l'édition 2022 du challenge The Irish Readathon. La paternité irlandaise au coeur du récit, encore. Mais en Irlande du Nord cette fois ; alors qu'A l'irlandaise de Joseph O'Connor se situait à Dublin.

Pas un mais deux pères sous la plume de Jan Carson, dans le chaud été Belfastois de 2014.
Le feu couve et quelques étincelles jaillissent dès le mois de juin dans les quartiers Est de la capitale (alors que le traditionnel défilé orangiste n'aura lieu que le 12 juillet, comme chaque année). Une vidéo circule dans laquelle un homme masqué appelle la jeunesse aux incendies et aux émeutes. Sammy, un ancien paramilitaire loyaliste qui a commis quelques horreurs, reconnaît son fils Mark dans cette silhouette. Il l'a toujours su, il a toujours senti que son enfant avait hérité de sa cruauté mais là où lui l'évacuait par la « simple » violence, le jeune homme fait montre d'une froideur et d'un calcul encore plus inquiétants. Lui a-t-il transmis tout ça ? Est-il responsable de ses actions et des débordements de cet été 2014 ?
Quelques rues plus loin, Jonathan apprend la cohabitation avec un nouveau-né. le sien. C'est Sophie, une petite fille arrivée presque par magie. Une chimère en devenir, surtout si elle suit les traces de son étrange mère. Comment peut-il gérer ce petit être dont il est dorénavant responsable ? Comment offrir les meilleures chances à sa fille en la protégeant de l'extérieur et surtout, sans libérer la monstruosité qui sommeille en elle ?

Dans une ville folle où un conflit sans fin voit sans cesse se répéter les mêmes erreurs et s'affronter des milliers d'habitants, malgré des accords de paix entérinés, comment être père ?

La quatrième de couverture laissait présager une rencontre et une véritable entraide entre les deux hommes. Mais cet aspect n'entre en jeu que dans le dernier tiers du roman et n'est pas tellement développé (en tout cas beaucoup moins que je l'imaginais). Il y a en fait très peu de scènes partagées par les deux pères même si, effectivement, elles permettent des « déclics » pour chacun d'eux. Sammy et Jonathan se retrouvent finalement assez isolés dans leur paternité, les questionnements et l'angoisse qu'elle engendre.

Quel titre étrange que celui-ci. Quelle beauté dans la description si réaliste et poignante de la paternité coupable vécue par Sammy mais quel « what the fuck » que le réalisme magique de la rencontre de Jonathan avec une sirène… je sais bien que la métaphore est de mise mais j'ai parfois eu du mal à passer d'un chapitre à l'autre tant j'avais l'impression d'un décalage : happée par la paternité vécue par le premier mais plutôt très étrangère à la seconde.

Ce n'est pas une lecture facile que ce roman et je ne sais toujours pas si je l'ai aimée… mais elle m'a marquée, ça oui ! Et je suis assez curieuse de lire le prochain titre traduit en français de Jan Carson (début 2023 a priori).
Lien : https://bazardelalitterature..
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En Irlande du Nord en juillet, il est de coutume d'allumer des bûchers pour célébrer la victoire en 1690 du roi protestant Guillaume d'Orange sur son ennemi catholique Jacques II.
Malgré l'apaisement entre les deux communautés concrétisé en 1998 par l'accord du Vendredi Saint conclu après trente années de guerre civile pudiquement nommées « The Troubles », ce rite perdure.
En cet été 2014, Belfast est accablée par une chaleur inhabituelle. Mais il est vrai que rien n'est ordinaire dans cette ville du nord-est de l'Ulster. L'auteure la qualifie même de saugrenue.
Nous ne sommes qu'en juin et la capitale de l'Irlande du Nord s'embrase. Et ces « Grands Feux » qui la brûlent n'ont rien à voir avec ceux de la tradition ni avec les feux de joie que les habitants attisent ça et là en marge des cérémonies officielles.
Ces feux-là ont été allumés pour détruire. Sammy Agnew, la cinquantaine, sait qui les a déclenchés. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, il reconnaît, derrière un masque de Guy Fawkes, l'un des instigateurs de la Conspiration des Poudres, son fils Mark surnommé « le Lanceur de Feu » qui milite pour le respect des libertés civiques.
L'ancien paramilitaire loyaliste à la colère rentrée qu'il pense avoir inoculée à son fils se sent responsable de ce déferlement de violence.
Non loin de là, Jonathan Murray vit en autarcie avec sa fille, un bébé de quelques mois, un bébé qui ne doit pas parler et encore moins chanter, un bébé qu'il doit faire taire à tout prix car elle est le fruit d'une relation qu'il aurait eu avec une sirène aux pouvoirs d'ensorcellement...
Cela paraît farfelu mais on y croit parce que Belfast est tout sauf raisonnable.
En incarnant une époque et un lieu avec ces deux personnages d'hommes seuls, à la dérive et en quête de rédemption, Jan Carson, dont on s'étonne que « Les lanceurs de feu » ne soit que le premier roman traduit en français, nous offre une superbe parabole sur la paternité, la transmission, le déterminisme, le fatalisme, le sacrifice et sur le choix manichéen entre le Bien et le Mal.
Si son parti pris original fait la part belle au fantastique et à l'onirisme, son écriture, puissante, inventive et flamboyante, le magnifie.
L'une des plus belles et plus poignantes lectures de cette fin d'année.

EXTRAIT
Les gens du coin (…) supposent que n'importe quel individu plus sombre qu'un fromage de chèvre est plus que probablement africain. Ils ne sont pas racistes. Ils ont simplement très peu voyagé.
Lien : http://papivore.net/litterat..
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