Edgardo Vega alias
Thomas Bernhard est contraint de retourner au Salvador afin d'assister aux obsèques de sa mère. Il doit faire acte de présence car c'est la seule condition dictée par sa mère s'il veut toucher sa part d'héritage qui consiste en la maison de son enfance. Edgardo est professeur d'histoire de l'art à l'université McGill de Montréal et n'est pas retourné à San Salvador depuis dix-huit ans. Il exècre son pays natal qui ne lui inspire que du dégoût par son absence de culture et l'ignorance crasse de ses habitants. Au cours de son séjour, Edgardo réside chez son unique frère, un commerçant borné et stupide dont la seule activité culturelle est d'écouter la télévision et regarder les matchs de foot. Sa famille est du même acabit. Notre pauvre Edgardo est au supplice et finit par se louer une chambre à l'hôtel afin d'échapper à cette famille qu'il juge ignoble et monstrueuse. Tout le récit consiste en une rencontre d'Edgardo avec un ancien compagnon de lycée du nom de Moya… dans un bar salvadorien, rencontre qui dure de cinq à sept et au cours de laquelle Edgardo exprime à son ami tout son dégoût et sa haine du Salvador et de ses immondes habitants.
Ce livre est fabuleux, hallucinant, fantastique ! Cet écrivain me fait vibrer presque autant que
Michel Tremblay ce qui n'est pas rien ! Son récit est absolument savoureux et rocambolesque à souhait. le regard que porte Edgardo sur son pays natal est impitoyable et d'une dureté sans bornes. Bref, il hait tout ce qui est salvadorien : la musique, la politique, les militaires, la famille, les loisirs, la ville et ses divertissements malsains. le récit de son voyage en avion est une pure merveille de même que celui de sa sortie avec son frère qui l'emmène « tirer un coup » avec un de ses amis noir dans un lupanar immonde et répugnant. C'est drôle, hallucinant et l'écriture touffue et dense de Moya, sans aucun paragraphe et comportant des phrases interminables emporte le lecteur dans un tourbillon de mots, de sensations pénibles, d'angoisse et aussi de moiteur palpable dont il est impossible de s'extraire avant d'avoir lu le tout dernier mot. Seul Moya est capable de décrire aussi bien des situations épouvantables avec un déluge de mots qui fouette le lecteur et l'entraîne dans le monde absolument infernal que constitue San Salvador pour Edgardo. Un pur régal !
Le personnage d'Edgardo est réel et réside effectivement à Montréal mais sous un autre nom. Moya a atténué quelques-uns des jugements de son héros pour épargner certains lecteurs. Dommage…
Suite à la publication de ce roman,
Horacio Castellanos Moya a reçu de nombreuses menaces de mort qui l'ont contraint à s'exiler.
« Moi, ça faisait dix-huit ans que je n'étais pas revenu au pays, dix-huit ans pendant lesquels rien de tout ça ne m'a manqué, parce que je suis parti justement pour fuir ce pays, je trouvais qu'il n'y avait rien de plus cruel et inhumain qu'avec la quantité d'endroits qu'il y a sur la planète ce soit précisément dans ce coin que moi je doive naître, je n'ai jamais pu accepter, alors qu'il existe des centaines de pays, que ce soit dans le pire de tous, dans le plus stupide, le plus criminel des pays, qu'il me soit revenu à moi de naître, ça je n'ai jamais pu l'accepter, Moya, c'est pour ça que je suis parti à Montréal, bien avant que ne commence la guerre, je ne suis pas parti comme exilé, ni à la recherche de meilleures conditions économiques, je suis parti parce que je n'ai jamais accepté la macabre plaisanterie du destin qui m'a fait naître dans ces terres, me dit Vega. »
"Le commerce sexuel est ce qu'il y a de plus dégoûtant, Moya, rien ne provoque en moi autant de répugnance que le commerce de la chair, quelque chose en soi de visqueux et de propice aux malentendus comme l'est le sexe atteint des abysses abominables avec son commerce, une pratique qui ronge tes facultés spirituelles d'une manière foudroyante."