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Critique de Lucilou


Cette année on fête les quatre-cent ans de ce bon vieux Molière et, que ce soit au théâtre ou en librairie, il paraît bien impossible d'éviter le sacro-saint anniversaire et le non moins sacro-saint dramaturge favori de ce bon vieux Roi Soleil.
Ai-je l'air de m'en plaindre ? Que nenni ! J'aime le théâtre à la folie et j'aime Molière. Moins que Shakespeare et Musset sans aucun doute, moins que Tennessee Williams sûrement, moins que Racine peut-être, mais je l'aime tout de même. Assez pour attendre avec impatience chaque nouvelle mise-en-scène et espérer qu'elle me fera mourir de rire et de réflexion. Quant à ses pièces, je le confesse : il m'a certes fallu du temps pour les apprivoiser et m'y attacher… mais il y a, à présent, une place jalousement réservée à Alceste et Argan, Harpagon, Agnès et Dom Juan dans mes affections de spectatrice. L'une d'entre elle -la plus ensoleillée peut-être- est aussi pour Scapin, depuis que Benjamin Lavernhe lui a prêté ses traits, son énergie et son talent.
Il fallait bien que les romanciers, en sus des chercheurs et des documentaristes, s'y mettent aussi, à célébrer le sieur Poquelin. le contraire m'eut déçue, moi qui aime à promener un oeil gourmand quoique exigeant sur les nouvelles parutions en matière de romans historiques et je me suis fendue d'un soupir de satisfaction quand j'ai croisé « L'Autre Molière », signé Eve de Castro dont j'avais passionnément aimé « le Roi des Ombres », son Versailles de misère et de lumière, son XVII siècle qui habille si bien la fiction.
Il ne m'a pas fallu bien longtemps pour me procurer l'ouvrage et m'y lancer, ni pour le dévorer d'ailleurs. le bougre se déguste promptement.
On parlait d'hommage un peu plus haut… Cet hommage-là rendu au maître de la Comédie (Française) et de la langue dont on dit si souvent qu'elle fut sienne avant de nous appartenir est pour le moins… ambigu. On pourrait s'en plaindre et il est des puristes doublés de fanatiques qui ne manqueront pas de pousser des cris d'orfraie à la lecture de « L'Autre Molière », mais sans ambiguïté ni problème, il n'y aurait pas de roman…
Dans ce dernier, donc, Eve de Castro fait sienne l'une des théories qui agite avec plus ou moins de force la sphère culturelle depuis une petite centaine d'années, à savoir que ce serait Corneille -oui, oui, Pierre. le Corneille, le seul, le vrai, l'unique (qui connaît encore les oeuvres du petit frère ?)- qui aurait écrit la plupart des grandes oeuvres de notre Molière, lequel n'aurait été qu'un prête-nom, doublé d'un excellent comédien et d'un metteur-en-scène de génie.
Qu'on y souscrive ou pas, peu importe au fond, la question n'est pas vraiment là, mais il faut reconnaître qu'un tel énoncé a tout du parfait sujet de roman, qu'il y a là de la matière. Matière à raconter, à broder, à bousculer.
L'auteur nous donne donc à voir avec « L'Autre Molière » les hommes et le pacte derrière le mythe, la construction de la légende, les coulisses du spectacle qu'on en finit pas de représenter. Plutôt que d'adopter une narration classique, linéaire, Eve de Castro a fait le choix de convoquer sur scène des personnages qui chacun leur tour nous offre leur version de l'histoire. Il y a là Baptiste lui-même revenu d'entre les morts et Madeleine Béjart toute aussi éthérée ; il y a Pierre Corneille qui prend la plume quelques heures après la mort de Molière, son épouse et celle du défunt, la belle mais froide Armande Béjart. Il y a enfin « le petit », Michel Baron, l'ami et le fils électif. Au fil des pages, leurs récits s'entrecroisent, dévoilent autant qu'ils dissimulent et se rejoignent pour nous raconter comment Molière est devenu ce qu'il est aujourd'hui et ce depuis des siècles, comment un pacte conclu entre un érudit assoiffé d'honneur et de beauté et un être pétri de vie a donné lieu à la légende, comment le désir et la jalousie s'en sont mêlés aussi. Au-delà, « L'Autre Molière » est également un très beau roman sur la création et le théâtre, sur les affres et le fonctionnement du Grand Siècle, au moins d'un point de vue artistique. C'est enfin un texte qui ausculte l'âme humaine et toute sa complexité, un roman polyphonique et inquiet, ténébreux parfois et non sans noirceur. Ce qui en fait sa beauté et sa profondeur -ses voix qui se font écho, ces êtres qui racontent- est aussi ce qui fait la faiblesse de l'ouvrage. En effet, j'ai presque fini par me lasser de ces monologues magnifiquement écrits mais un peu redondants, à grands coups d'accumulations et de déchirures. Ces figures un peu répétitives ont fini par boursouffler un peu le propos qui en perd en intensité et je l'ai beaucoup regretté.
Néanmoins et pour finir sur une note positive et méritée, je voudrais évoquer en fin de bafouille l'absence de manichéisme de chacun des personnages, particulièrement bien rendus et qui me conforte dans l'idée qu'Eve de Castro est une romancière de l'âme humaine et de sa complexité presque autant qu'une chantre du XVII°siècle, et c'est un plaisir.
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