On ne découvre combien on a été heureux que quand on cesse de l'être.
Depuis des mois, les petits n'ont aperçu ni le soleil ni la lune, mais d'instinct ils sentent que dehors le soir tombe. C'est l'heure traîtresse où la solitude s'enroule en écharpe et étrangle le goût de vivre. L'heure où le courage fond sous les larmes qui remontent dans la gorge. L'ombre descend sur le monde, portant dans ses plis la terreur.
Les mains. Ce que les lèvres taisent, les mains l'avouent. Observez leur forme, leur respiration, leurs silences. Vous saurez comment la femme que vous désirez s'abandonne ou se masque, comment elle prendra soin de vous, si elle vous enchaînera, vous meurtrira, vous trahira. Vous saurez la franchise, la bonté, la mélancolie, la paresse, l'envie, la volonté, le goût de l'argent, celui du plaisir, celui du meurtre. On ne vous trompera que si vous décidez de prêter le flanc. Personne ne vous surprendra.
Le problème avec ma mère, c'est qu'elle a l'intransigeance de mon père, la vertu en plus et l'intelligence en moins.
Il n'y a pas de sens.
Juste l'habituelle déprime de novembre, deuil des beaux jours et deuil des illusions, quand l'âme perd son bronzage revient le temps des suicides, des liftings, des divorces. Rien à déchiffrer, pas de leçon à tirer. Des émotions autosuggérées, brèves décharges synaptiques, des souvenirs que l'on se fabrique pour se consoler de devoir vieillir, et mourir, et finalement tout oublier.
Moi, la Toussaint, ça me file le cafard. Encore une tradition imbécile, comme si les morts bouffaient des chrysanthèmes à date fixe.
Nous aimions tous les deux les romans anglais, les chevaux, les plages bretonnes, les bons vins. Nous voulions ce que veulent, je suppose, tous les couples de notre genre : trois beaux enfants, un grand appartement où recevoir commodément, une dévouée Philippine à plein temps, un manoir dans une région desservie par le TGV et un voyage pour nos anniversaires respectifs. Un peu image d'Epinal, mais dans nos milieux, on se renie rarement.
En haut des six marches vermoulues, une toute petite lanterne se balance avec des couinements doux. C'est Piotr qui, malgré la dépense en huile et en mèches, tient à l'allumer dès la tombée du jour. « Pour les âmes égarées, sourit-il sur ses trois chicots, pour qu'elles sachent que chez nous, on les accueillera bien. » Un clin d'œil dans la nuit. « Parce que la nuit, ajoute le vieil homme en alignant avec soin ses allumettes dans leur boîte, la nuit guette au fond de chacun de nous. »