-Quelle époque, n'est-ce pas, Martin?
-Oui, Filo, quelle époque? Mais les choses s'arrangeront, tôt ou tard.
-Tu crois?
-N'en doute pas. Le progrès, c'est fatal, impossible à arrêter, c'est quelque chose qui a la force des marées.
Un chat se faufile entre les tables, un chat gris, luisant; un chat plein de santé et d'euphorie; un chat gonflé d'orgueil et de présomption. Il se fourre entre les jambes d'une dame et la dame sursaute.
- Chat du diable! Allez coucher!
L'homme à l'histoire sourit avec douceur.
- Mais, Madame, ce pauvre chat! Quel mal vous faisait-il donc?
A une table du fond, deux veuves, maquillées comme des guenons, parlent des musiciens.
Doña Margot, les deux yeux grands ouverts, dormait du sommeil des justes à la Morgue, sur le marbre froid d’un des tables. Les morts de la Morgue n’ont pas l’air de personnes mortes, on dirait des mannequins assassinés, des marionnettes dont les fils sont cassés.
Un polichinelle égorgé est plus triste qu’un homme mort.
Le monde est un spectacle que des hommes au cœur pur contemplent, ahuris, du premier rang de l'orchestre, sans trop comprendre ce qui se passe, qui est pourtant très clair.
"Tout dans la femme est énigme, et tout dans la femme a une solution : elle s'appelle grossesse.
L'homme pour la femme est un moyen : le but, c'est toujours l'enfant. Mais qu'est la femme pour l'homme?
L'homme véritable veut deux choses : le danger et le jeu. C'est pourquoi il veut la femme comme le jouet le plus dangereux."
Note de la première édition
Mon roman " La Ruche", premier livre de la série " Chemins incertains ", n'est qu'un pâle et modeste reflet, qu'une ombre de la réalité quotidienne, de l'âpre, tendre et douloureuse réalité.
(...)Mon roman- pour des raisons particulières- a été publié en république Argentine ; je crois qu'un air nouveau- nouveau pour moi- fait du bien à la lettre imprimée.
L'architecture de mon livre est complexe, et m'a demandé beaucoup d'efforts. Il va de soi que mes difficultés proviennent aussi bien de cette complexité que de ma propre maladresse. L'action se déroule à Madrid- en 1942- au milieu d'un torrent- ou d'une ruche- , de gens qui parfois sont heureux, et parfois ne le sont pas- Ils ne défilent pas- entre ses pages m'en ont fait voir de toutes les couleurs au cours de cinq bonnes années. Si j'ai visé juste, ou si j'ai manqué la cible, c'est au lecteur de le dire.
Je ne sais si mon roman est réaliste, idéaliste, ou naturaliste ; si c'est un roman de mœurs , ou quoi que ce soit. D'ailleurs, je ne m'en préoccupe guère (...)
C'est bon le bicarbonate, ça ne fait aucun mal. Seulement les médecins ne peuvent pas le prescrire, parce que si c'est pour qu'on leur ordonne du bicarbonate, les gens n'ont pas besoin des médecins.
Nous vivons à l'époque de toutes les hardiesses, et le monde est un spectacle que des hommes au cœur pur contemplent, ahuris, du premier rang de l'orchestre, sans trop comprendre ce qui se passe, qui est pourtant très clair.
Le café, dans moins d'une demi-heure, sera désert. Pareil à un homme dont la mémoire, soudain, serait devenue vide.