Citations sur La ruche (38)
Note de l'auteur pour la deuxième édition
Mes idées n'ont pas changé depuis quatre ans. Ni mes sentiments et points de vue. Il est arrivé, dans le monde, des choses étonnantes - pas si étonnantes, d'ailleurs - mais l'homme traqué, l'enfant qui vit comme un lapin, la femme dont le pauvre pain quotidien est accroché au sexe - sinistre mât de cocagne - de l'épicier conformiste et cauteleux, la jeune fille sans amour, le vieillard sans espoir, le malade condamné - le suppliant et dérisoire malade condamné - , sont toujours là. Personne ne les a changés de place. Personne ne les a balayés. Presque personne n'a jeté un regard sur eux.
Je sais bien que La Ruche est un cri dans le désert ; ce cri n'est même pas tellement strident ni trop déchirant. Sur ce point, je ne me suis jamais fait de vaines illusions.
- C'est bon le bicarbonate, ça ne fait aucun mal. Seulement, les médecins ne peuvent pas le prescrire, parce que si c'est pour qu'on leur donne du bicarbonate, les gens n'ont pas besoin de médecins.
Comme il traverse la chaussée, un cycliste est obligé de l'écarter d'une poussée.
- Eh! empaillé! Tu t'crois en liberté surveillée?
Le sang monte à la tête de Martin.
- Eh! dites donc, vous! Dites donc!
Le cycliste tourna la tête et lui fit un bonjour de la main.
L'enfant n'a pas un visage humain, il a une tête d'animal domestique, de bête souillée, avilie par la basse-cour. Il est trop jeune pour que la douleur ait déjà tracé la balafre du cynisme — ou de la résignation — sur son visage, et il a une belle et naïve expression, l'expression stupide de quelqu'un qui ne comprend rien à ce qui se passe. Tout ce qui se passe est un miracle pour le petit gitan, qui est né par miracle, qui mange par miracle, qui vit par miracle et qui a, par pur miracle, assez de forces pour chanter. Après les jours viennent les nuits, après les nuits viennent les jours. L'année a quatre saisons : le printemps, l'été, l'automne, et l'hiver. Il y a des vérités que l'on sent dans son corps, comme la faim ou l'envie d'uriner.
Note de la troisième édition :
J'aimerais développer l'idée que l'homme sain n'a pas d'idées. Parfois je pense que les idées religieuses, sociales ou politiques ne sont que des manifestations d'un déséquilibre du système nerveux. Nous sommes encore loin du temps où l'on saura que l'apôtre et l'illuminé sont du gibier d'asile, de tremblantes fleurs de la faiblesse et de l'insomnie. L'histoire, l'indéfectible histoire va à rebours des idées. Ou en marge des idées. Pour faire l'histoire, il faut ne pas avoir d'idées, comme pour faire fortune il est nécessaire de n'avoir pas de scrupules. Pour l'homme traqué qui parvient à sourire avec l'amer rictus du triomphateur, les idées et les scrupules sont un obstacle. L'histoire est comparable à la circulation du sang ou à la digestion des aliments. (...) Les idées sont un atavisme (..), jamais une culture, et moins encore une tradition. La culture et la tradition de l'homme, de même que la culture et la tradition de l'hyène et de la fourmi, ne peuvent être orientées que dans trois directions : la nourriture, la reproduction, et l'autodestruction. La culture et la tradition ne sont jamais idéologiques, mais, en revanche, toujours instinctives.
Tant qu'il y aura des hommes et tant qu'il y aura des femmes, il y aura toujours des histoires; l'homme c'est du feu, et la femme de l'étoupe, et après, eh bien, il arrive des choses!
Puis elle revient à la réalité et recommence à se promener, de long en large, en souriant aux clients, que dans le fond elle déteste, en montrant ses petites dents noirâtres remplies de saletés.
Assis sur le divan, Lola et don Roque sont en train de parler. Don Roque a gardé son pardessus et tient son chapeau sur ses genoux. Lola, nue, a les jambes croisées. Un poêle brûle dans la chambre et il fait bon. Les deux visages se reflètent dans la glace de l'armoire, ils forment réellement un couple étrange : don Roque avec son écharpe et l'air préoccupé, Lola toute nue et de mauvaise humeur.
On a volé le sac de dona Montserrat au saint sacrement, quelle horreur! A présent il y a des voleurs jusque dans les églises. Elle n'avait sur elle que trois pesetas et quelques sous, mais le sac était encore en assez bon état.