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Critique de klakmuf


Sur "D'un château l'autre", un fin commentateur a publié ici la critique suivante: « Il y a quelque chose de pourris au royaume du Danemark comme dirais Shakespeare »: ça, c'est envoyé: quelle claque! Allez, je « like » et je clique. Fine saillie spirituelle, quel dommage pourtant qu'en si peu de mots l'orthographe y soit tant maltraitée. Et la convocation de l'oeuvre la plus célèbre du « Molière anglais » à l'appui de cette petite critique assassine ne doit pas nous faire oublier tout le talent littéraire de Louis-Ferdinand Céline qui fut, avec Marcel Proust, le plus grand écrivain français du XXe siècle.

Premier volet de la trilogie allemande, avec « Nord » puis « Rigodon », « D'un Château l'autre » est un récit très personnel, hallucinant et halluciné, pour évoquer sans souci de chronologie sa fuite de France à la Libération et son errance outre Rhin, du château de Sigmaringen, en Allemagne, à une forteresse prison au Danemark, entrecoupé de souvenirs de ses années à Montmartre ou en banlieue. Cette trilogie, c'est un peu sa saison en enfer. Céline s'y montre à la fois pamphlétaire, mémorialiste et auteur comique, avec des portraits féroces des hommes de la clique de Vichy comme de ses rivaux littéraires. Mais la vérité historique n'est pas la qualité première de l'ouvrage, tant l'homme était un écorché vif (20 ans en 1914, blessé pendant la 1ère Guerre et 45 ans en 1939). L'écrivain se situe sur le plan de la littérature autant dire celui de l'artiste. Comme tout créateur, donc, il déforme, transforme, défigure et transfigure à sa guise la réalité. Malgré ses outrances, l'auteur restitue quand même bien toute l'atmosphère de cette époque.

« D'un Château l'autre » est surtout un chef d'oeuvre littéraire, comme l'opus suivant d'ailleurs. Il est paru en 1957 et renouvelait profondément l'écriture. le titre en fournit déjà un bel exemple avec cette géniale contraction faisant disparaître la préposition. Il y a chez Céline beaucoup de procédés d'écriture et un immense travail sur la syntaxe, qui abolit la traditionnelle structure « sujet – verbe – complément » pour introduire une rupture qui reproduit à merveille l'émotion et le flux des pensées. Jamais un auteur français n'a approché de si près l'art de transcrire la langue parlée dans l'écrit : il réussit le tour de force de nous donner l'illusion de l'entendre plus que de le lire. Mais ne nous y trompons pas : il s'agit bien d'une véritable prouesse obtenue par un labeur acharné. Une écriture réinventée, triturée, expurgée et aérée qui s'appuie sur les émotions au détriment de la raison. Un roman où l'innovation langagière de l'auteur abonde aussi avec de nombreux et savoureux néologismes : « barafouiller », « brouillagineux », etc. Ah, quel talent, le Ferdinand !

Rappelons enfin que nous jugeons un livre et pas un homme (que d'autres plus autorisés se sont amplement chargés de le faire avant nous) et qu'il ne s'agit pas non plus d'un livre antisémite, l'ombre portée par les pamphlets de l'auteur étant déjà suffisamment noire et accablante, sans qu'il soit nécessaire d'en rajouter pour essayer d'occulter la créativité et les géniales fulgurances stylistiques de cet écrivain maudit. Un écrivain souvent imité mais jamais égalé.
Alors, revenons à Hamlet pour ce petit conseil amical à notre fin lecteur du début : "Jetez, nous vous en prions, cet impuissant chagrin dans la poussière..."
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