J'entreprends ce voyage pour être loin de l'hideuse face humaine...!
Enfin, pouvoir durant 15 jours se recueillir sur la face grave de l'océan! Son visage attristé est le mien. Ce flot horrible qui déferle, mon amertume. Moi aussi j'ai mes abîmes.
L'aspect si sévère de l'océan, que je compare toujours à des vagues pétrifiées, à une monstrueuse étendue de granit, où traînent des brumes et de la pluie d'écume; ce rythme éternel, simple, jusque dans sa plus effroyable horreur, jamais démonté, sauf si un obstacle inattendu (bateau, roc) l'énerve; cette ligne précise de l'horizon qui vous encercle; ce ciel immense de lueurs, de blancheurs de d'éclats; ces nuages qui, comme des continents en voyage, rôdent; tout ceci et tout cela, plus encore l'absolu tout, l'unité, la confondation insensible de ce ciel et de cette mer, élève l'esprit à une telle potence exceptionnelle de contemplation, que l'âme doit être aussi ardente que le soleil pour parcourir seule, sans frissons, la sphéroïdité de son quotidien cours pour ne pas défaillir au méridien.
Ce n'est pas assez de toute la beauté de la terre, pour vous distraire un peu de la hideur contemporaine.
Je reste étendu sur mon grabat. Je lis les Confessions de Rousseau. Je regarde durant des heures tomber la pluie dans l'eau. Je n'ai aucune pensée, aucun désir. J'ai mangé quelques oranges, je n'ai plus faim. Rien, rien. Je suis comme un bloc de bois. (Le retour)
Je quitte l'Amérique comme j'y suis arrivé, le coeur ivre d'un amour impossible. (Le retour)
Si l'on y pouvait mieux écrire, je serais prêt à passer toute ma vie dans les trains, devant une bougie allumée, face à face avec moi-même.
Ah! mourir jeune et légendaire, dans une apothéose de beauté!
Les fières galères, au profil vierge, s'évanouissent à l'horizon. Moi je m'embarque sur un steamer échoué, sur un grand bateau noir.
Ah! ses désirs, son âme et ses douleurs, les emporter au loin, sur des ailes d'albatros, les enfouir aux nuées sombres d'un ciel lugubre de novembre, loin, sur la mer!
Qu'il est doux de se détacher des choses;- oui, mais surtout se détacher des gens!